Russie : polémique autour d’une plaque à la mémoire de l’amiral Kolchak en Sibérie
À Chipounovo, dans l’Altaï, un entrepreneur a installé une plaque commémorative au plus célèbre commandant des armées blanches, l’amiral Kolchak, et a provoqué l’indignation de ses voisins.
De loin, l’hôtel de Chipounovo, un village à 180 km au sud-ouest de Barnaoul, ressemble à un navire. Le deuxième étage est orné d’une passerelle avec son gouvernail. Sur la balustrade du « pont », au premier étage, des drapeaux sont dressés : celui de la Croix de Saint André, drapeau de la Flotte russe, le drapeau rouge soviétique et le russe tricolore. Auprès de l’entrée, à côté d’une ancre suspendue, une plaque de marbre noir est fixée au mur. Elle représente un homme en veste de marine blanche. Sur ses pattes d’épaules : deux aigles bicéphales.
« Je suis le propriétaire de ce bâtiment. Il abrite un hôtel, où je vis. Et nous avons fait installer, au rez-de-chaussée, cette plaque commémorative à l’amiral Koltchak, explique Vladimir Loktionov, retraité. Il est impossible de rayer cet homme de l’Histoire. »
« Autrefois, comme la majorité des Russes passés par l’école soviétique, je le voyais comme un personnage négatif », admet-il. Tout a changé en 1989, lorsque Vladimir, au cours d’une croisière en bateau sur le Cercle polaire, a assisté à la conférence d’une historienne sur l’amiral blanc. « J’ai alors entendu parler pour la première fois de beaucoup de choses, raconte le retraité : j’ai appris que Koltchak avait réalisé deux expéditions vers le Cercle polaire, qu’il s’était battu en mer du Japon. Il a défendu notre Patrie. Il a combattu sur la Baltique. Il a chassé de la mer Noire tous les Allemands. C’est, jusqu’aujourd’hui, le plus jeune amiral du monde. C’est un officier courageux, audacieux. »
Loktionov explique avoir mis un an à récolter les fonds nécessaires à l’installation de la plaque, qui lui a coûté 50 000 roubles (environ 790 euros). « Les clients m’ont aidé à en recueillir un quart », précise-t-il. L’inauguration s’est tenue le 16 janvier 2016 – jour de l’anniversaire de l’amiral. En prévision de cette cérémonie solennelle, Vladimir avait mis une annonce dans le journal, prévenu la télévision locale et envoyé des invitations personnelles à chacun des habitants de Chipounovo. Mais les journalistes ne sont pas venus et, au final, quatre personnes seulement ont assisté à l’inauguration. Les villageois ont expressément ignoré l’apparition de ce nouveau monument.
« Aujourd’hui, les petits jeunes se prennent en photo à côté de la plaque, ils font des selfies. Mais les anciens sont profondément indignés !, ajoute-t-il. La guerre civile est une tragédie pour notre peuple, et le rôle de Koltchak dans cette tragédie est loin d’être héroïque. Il a fait couler le sang dans notre village ! » affirme Vladimir Gorchkov, un retraité. Alexandre Vakaïev, premier secrétaire du comité de district du KPRF, Parti communiste de la Fédération de Russie pour Chipounovo, est d’accord.
Igor Vorobev, archiprêtre de l’église du lieu, s’efforce pour sa part de réconcilier les partisans du commandant et ceux de l’amiral. Il confie avoir donné sa bénédiction à Vladimir Loktionov pour l’installation de la plaque commémorative à Koltchak.
« Nous avons décidé de bénir cette entreprise, afin de contribuer à la réunification des gens, explique le responsable religieux. Il ne faut pas porter sur l’Histoire un regard unilatéral. Dans notre pays, l’Histoire a été aussi bien blanche, que noire, et rouge. On sait que Koltchak voulait stabiliser la situation lors d’une période terrible de l’Histoire. Et à en juger par sa correspondance, il a tenté de le faire avec honnêteté. On ne peut pas rayer son nom de l’histoire de l’État ni de l’Altaï. »
Vladimir Loktionov, lui aussi, affirme avoir installé cette plaque commémorative afin, notamment, d’unir les gens.
« Cent ans sont passés, et notre société est toujours divisée, poursuit Vladimir. Tout le monde est réconcilié : les Japonais, les Allemands… »
Alexandre Vassilievitch Kolchak, né le 16 novembre 1874 (4 novembre du calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg était un officier de marine russe, océanographe et hydrographe. Nommé n 1916 il fut le plus jeune vice-amiral et on lui confia le commandement de la flotte de la mer Noire. Pendant la Révolution russe, en 1918, il avait été élu Gouverneur suprême de la Russie et chef des armées blanches sibériennes par les forces anti-bolchéviques. Lâché par les « Alliés » et trahi par l’armée tchèque aux ordres du général Janin, il est livré au soviet local d’Irkoutsk et fusillé par les bolcheviques le 7 février 1920.