Malgré une tension extrême ces derniers mois au Kurdistan turc, marquée par plusieurs attaques mortelles contre des soldats et des policiers turcs et une répression sanglante contre des manifestations kurdes, un accord serait actuellement en discussion entre le gouvernement turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan).
Abdullah Öcalan, le prisonnier au cœur des négociations
« La Turquie est plus proche que jamais d’un accord de paix »
a affirmé un député du Parti démocratique du peuple (HDP, Halkların Demokratik Partisi) après une rencontre avec le Vice-Premier ministre et le ministre de l’Intérieur turcs.
« J’appelle le PKK à convoquer un congrès extraordinaire au printemps pour prendre la décision stratégique et historique de désarmer, il est temps de passer du combat armé à la lutte politique »
a fait savoir à ses partisans le chef du PKK Abdullah Öcalan dans une déclaration. Ce n’est pas la première fois, depuis son incarcération en 1999, que le chef du PKK appelle à la fin de la lutte armée et se prononce pour des négociations avec le gouvernement turc. Cet accord fait suite à de précédentes propositions du PKK et à deux années de discussions entre le gouvernement et le groupe armé kurde.
Fortement médiatisé, cet « accord sur la possibilité d’un accord » ne résout rien dans l’immédiat et un véritable accord est loin d’être signé. Les Kurdes et le pouvoir central turc ont des intérêts communs actuellement. Le président Recep Tayyip Erdogan souhaite se concilier l’électorat kurde avant les élections législatives de juin 2015 pour lesquelles le Parti pour la justice et le développement (AKP, Adalet ve Kalkınma Partisi) espère obtenir la majorité des deux tiers, notamment dans le cadre de l’élaboration d’une constitution. Les Kurdes veulent peser sur l’élaboration du nouveau texte pour obtenir une certaine autonomie.
S’il a appelé à des négociations et à l’arrêt de la lutte armée, Abdullah Öcalan a conditionné ces discussions à l’acceptation d’une liste de dix points en faveur des Kurdes.
L’influent prisonnier d’Imrali
Le chef du PKK a été arrêté en février 1999 lors d’une opération conjointe menée par les services américain et turc – certaines sources estiment qu’elle n’a été rendue possible qu’avec la participation d’agents israéliens et kényans – en territoire kényan. Accueilli à l’ambassade grecque, Abdullah Öcalan se trouvait dans un convoi à destination de l’aéroport de Nairobi quand il a été attaqué – ainsi que l’ambassadeur grec – et enlevé.
Après un rapide procès, il a été condamné à mort – peine commuée en prison à vie lors des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) – et incarcéré sur l’île-prison d’İmralı où il a longtemps été le seul prisonnier, gardé par plus d’un millier de soldats turcs.
Depuis 2009, d’autres prisonniers du PKK sont accueillis dans la prison, et les autorités turques affirment qu’il peut les rencontrer dix heures par semaine pour rompre son isolement.
Il a écrit plusieurs livres depuis son incarcération et affirme avoir changé de vues sur l’action politique et avoir renoncé totalement à la lutte armée, aussi bien contre les civils que contre les militaires turcs. Influencé par divers penseurs néomarxistes juifs (dont Immanuel Wallerstein et Murray Bookchin), il milite désormais pour une confédération kurde sans frontières située sur les territoires turc, syrien, irakien et iranien, dans laquelle plusieurs lois seraient en vigueur, celles de l’UE, des différents pays concernés, et des Kurdes. Politiquement, il a inventé le concept de confédéralisme démocratique, dérivé du communalisme.
Quelques mois avant son arrestation au Kenya en 1999, Abdullah Öcalan avait annoncé la fin des combats et appelé à des négociations avec le gouvernement. Il avait encore annoncé un cessez-le-feu en 2006 – sur lequel il était revenu en 2010 – puis en mars 2013. Le PKK n’a pourtant jamais réellement déposé les armes, et le pouvoir turc n’a jamais reconnu ces trêves.
« Que les armes se taisent et que la politique domine… une nouvelle porte s’ouvre d’un conflit armé vers les politiques démocratiques et de démocratisation. Ce n’est pas la fin. C’est le début d’une nouvelle ère »
avait-il déclaré en 2013. Ces propos avaient été salués par le premier ministre turc de l’époque, depuis élu président, Recep Tayyip Erdogan.
Du côté du PKK, le dirigeant opérationnel du groupe, Murat Karayılan, avait validé l’idée d’un cessez-le-feu, tout en précisant :
« Chacun doit savoir que le PKK est aussi prêt pour la paix qu’il l’est pour la guerre. »
Trente ans de guerre
La guerre entre les insurgés kurdes – essentiellement le PKK – et les autorités turques a fait plusieurs dizaines de milliers de morts en trente ans – entre 30 000 et 50 000 selon les principales estimations, essentiellement parmi les civils et les combattants kurdes. D’autres groupes ont pris les armes durant cette période, notamment le Hezbollah kurde, qui a combattu selon les moments autant le PKK que le pouvoir turc.
Durant ces années de lutte armée, le PKK a bénéficié selon les périodes du soutien des différents ennemis de la Turquie, intérieurs (partis marxistes turcs essentiellement) et extérieurs (URSS – en tant qu’alliée des États-Unis – puis Russie – selon la Turquie –, Bulgarie, Grèce et Chypre – en tant qu’occupant de cette dernière –, et différents acteurs régionaux, notamment la Syrie et l’Iran). La Turquie a de son côté profité de son alliance avec les États-Unis et de son adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ainsi que de l’appui, lointain, de l’Union européenne (UE).
C’est en 1984 que le parti marxiste kurde décida de se transformer en groupe armé actif, après plusieurs années de luttes politiques marquées par de violents incidents avec le pouvoir turc et divers autres groupes islamistes, panturcs ou anticommunistes – en décembre 1978, un massacre attribué aux Loups gris à Maraş fit une centaine de victimes.
La guerre a également conduit au départ d’environ trois millions de personnes, dont une grande partie a rejoint l’Europe, où de nombreux activistes kurdes ont poursuivi leur guerre comme de nombreux Turcs ont participé à des actions contre les Kurdes. En France, les groupes marxistes kurdes ont longtemps été très puissants, organisant des expéditions punitives contre leurs ennemis et pratiquant la levée de « l’impôt révolutionnaire » pour financer le PKK. Après avoir bénéficié durant de longues années de la passivité des pouvoirs publics, les réseaux français et européens du PKK ont subi de nombreuses arrestations et condamnations à partir de 2009.