Pour justifier sa répression contre les activistes kurdes, qui ont pris prétexte de l’attentat meurtrier commis à Suruç par les islamistes pour attaquer l’État, le gouvernement turc semble s’être rallié à la coalition anti-ÉI américaine.
La Turquie entre en action contre l’ÉI
Dans un premier temps, les autorités ont annoncé avoir ouvert la base aérienne d’Incirlik aux avions américains pour mener des frappes en Syrie. La Turquie est officiellement membre de la coalition – comme de l’OTAN – mais n’a jamais participé en près d’un an de frappes aux actions de l’alliance.
L’aviation turque s’est ensuite elle-même lancée dans des frappes contre l’État islamique (ÉI) en territoire syrien. Ces attaques permettent de justifier l’accentuation de la répression contre les forces kurdes, au sein de la Turquie comme à l’extérieur, où les Kurdes ont obtenu depuis plusieurs mois une autonomie qui confine à l’indépendance et qui menace à terme l’intégrité territoriale turque.
Alors que les manifestations se poursuivent à travers le pays pour dénoncer la complicité du pouvoir avec les islamistes, le gouvernement a lancé une vague d’arrestation dans les milieux indépendantistes kurdes et islamistes comme il frappe à l’extérieur Kurdes et islamistes.
Bombardements turcs contre les Kurdes en Irak
Si les frappes contre l’ÉI font l’unanimité, la Turquie risque gros en s’attaquant aux forces kurdes. Hier soir, vers 23 heures, des avions turcs ont bombardé les positions des miliciens kurdes dans le nord de l’Irak, dans la province de Dohouk. Selon le témoignage d’activistes du PKK, les raids aériens ont été accompagnés d’intenses bombardements d’artillerie depuis l’autre côté de la frontière.
Ces attaques ont conduit à une aggravation de la situation en Turquie. Des groupes kurdes, comme L’Initiative populaire (Halk İnisiyatifi) ont appelé à l’insurrection contre le gouvernement. Dans les heures qui ont suivi, au moins onze policiers ont été blessés dans des attaques ; un douzième a été enlevé, vraisemblablement par des hommes du PKK. Ces actions pourraient continuer à accréditer la poursuite du soutien du gouvernement turc aux tueurs islamistes derrière quelques attaques de façade.
Près de 300 « terroristes » arrêtés
Dès vendredi matin, le gouvernement avait manifesté sa volonté de présenter le PKK comme une menace égale à l’ÉI pour mieux pouvoir attaquer les Kurdes. Dans une opération autant antiterroriste que de propagande, les autorités ont annoncé avoir arrêté 297 « terroristes », dont 37 étrangers, appartenant à l’ÉI et au PKK, mais aussi au Front-Parti pour la libération du peuple révolutionnaire (DHKP-C, Devrimci Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi) lors d’une opération exceptionnelle ayant mobilisé 5 000 policiers pour la seule ville de Constantinople. Une militante du DHKP-C, groupe terroriste marxiste auteur de nombreuses attaques meurtrières, a été tuée lors de son interpellation.
« Les opérations commencées aujourd’hui ne sont pas ponctuelles, elles vont se poursuivre. L’opération menée contre l’EI a rempli son objectif et ne s’arrêtera pas. Je le dis ici très clairement : il n’est pas question pour la Turquie de prendre part à la guerre qui dure depuis quatre ans en Syrie mais nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour protéger nos frontières. Le moindre mouvement menaçant pour la Turquie entraînera la plus sévère des réactions »,
a déclaré le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
Violences à travers le pays
Après avoir revendiqué le meurtre de deux policiers accusés d’accointances avec les islamistes, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan), par la voie du Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H, Yurtsever Devrimci Gençlik Hareketi) a annoncé avoir éliminé un tueur de l’ÉI à Constantinople, dans le quartier de Sultangazi.
« Nous continuerons nos opérations contre le gang de l’EI, nous avons identifié de nombreux militants et nous les exécuterons et les punirons »,
a menacé l’YDG-H.
Au lendemain du double meurtre, un autre policier a été tué par balles à Diyarbakir (sud-est), lors d’une attaque qui a également fait un blessé parmi les forces de l’ordre.
Jeudi, un militaire turc est mort et plusieurs autres ont été blessés près de Kilis (sud) lors d’un échange de tirs avec des éléments terroristes de l’autre côté de la frontière, en Syrie. Un tueur de l’ÉI a été tué lors des tirs de riposte.
Les manifestations, organisées par les groupes de gauche comme par les associations kurdes, se poursuivent à travers le pays, s’achevant le plus souvent dans la violence : ainsi hier soir, à Constantinople, les policiers ont chargé la foule. Une grande manifestation est annoncée dimanche dans la grande ville du nord-ouest pour une « marche pour la paix » à haut risque, entre risque d’attentats islamistes, violences policières, et débordements des groupes d’extrême gauche et kurdes.