En 2015, l’Afrique a connu une grande révolution liée à l’effondrement du prix du baril. Ceux qui affirmaient il y a encore quelques mois que le pétrole allait devenir de plus en plus rare et qu’il fallait d’urgence entrer dans un nouveau modèle industriel, sont aujourd’hui bien silencieux face à la surabondance de l’or noir que le marché ne parvient plus à absorber.
Ce phénomène a deux causes :
– La première est conjoncturelle, et il s’agit du ralentissement économique de la Chine.
– La seconde est structurelle. Elle découle du fait que, contrairement aux prévisions alarmistes, il y a en réalité du pétrole partout dans le monde et les progrès constants de la technologie permettent de l’extraire à des profondeurs de plus en plus grandes. Sans parler naturellement de l’arrivée du pétrole de roche américain.
Or, cette surabondance va durer dans la mesure où l’Iran n’est pas encore revenu sur le marché, cependant que les productions de Syrie et de Libye sont fortement handicapées par la guerre. Seule une crise majeure affectant le Moyen-Orient et le Golfe persique pourrait inverser en profondeur cette tendance.
Pour l’Afrique, le résultat de cette situation est catastrophique, car une quinzaine de pays sur 54 sont des monoproducteurs tirant entre 75 et 98 % de leurs recettes de la manne des hydrocarbures1. Ce sont les « locomotives » économiques africaines dont les « experts » ont tant vanté le « démarrage » durant les années 2013 et 2014. C’est en ayant les yeux fixés sur des statistiques artificielles et leur pensée rivée à des modèles mathématiques désincarnés qu’ils ont pu écrire que l’Afrique avait démarré.
Hélas, ce prétendu « décollage » fantasmé était suspendu à une envolée artificielle et passagère des cours2.
Or, ces pays qui s’étaient subitement enrichis et qui, pensant que la manne était éternelle, ont dépensé sans compter, se trouvent aujourd’hui face à des échéances qui ne sont plus couvertes. Les voilà donc contraints de s’endetter pour continuer à financer des projets non soldés ou tout simplement pour acheter la paix sociale et éviter la révolution. À peine sortis de la mortelle spirale de l’endettement des années 1980-1990, les voilà donc qui y replongent en priant pour que les cours remontent.
Si nous ajoutons à la trentaine de pays vivant de l’exportation des matières premières pétrolières et minières, ceux qui sont ravagés par des guerres civiles, ethniques et religieuses, la situation du continent est donc apocalyptique, sur fond de suicide démographique.
Nous voilà donc loin de cet « afro-optimisme » de commande asséné par les butors de la sous-culture médiatique et les experts auto-proclamés. Une fois de plus, l’afro-réalisme est donc de retour.
Éditorial de Bernard Lugan extrait du dernier numéro de L’Afrique réelle (n° 73 – janvier 2016) dont au sommaire duquel est proposé :
Actualité :
– Afrique du Sud : «Zuma must fall »
– Libye : L’intervention militaire est nécessaire
Dossier : La conflictualité et les tensions africaines en 2016
– L’Afrique du Nord sous tension
– La contagion jihadiste du Sahel à la bande sahélo-guinéenne
– La Corne : entre conflit permanent et résurgent
– Centrafrique, Soudan du Sud et Burundi : les nouvelles zones grises
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1 Les pays producteurs de minerais sont également affectés par la baisse des cours du cuivre, du fer etc.
2 J’ai longuement expliqué ce phénomène dans mon livre « Osons dire la vérité à l’Afrique », le Rocher, 2015.