Après avoir conquis le Royaume wisigoth, les Omeyyades, menés par le gouverneur d’Al-Andalus As-Sam’ ibn Ma-lik Al-’awla-niyy, mettent sur pied une armée afin de franchir les Pyrénées et conquérir la Septimanie et l’Aquitaine. Commencée en 719, la campagne est d’abord couronnée de succès avec la prise de Narbonne. Toulouse est assiégée en 721, et Eudes, le duc d’Aquitaine, part demander l’aide du Royaume franc. Les Austrasiens sont engagés avec Charles Martel dans une guerre contre les Saxons, et c’est en Neustrie et en Bourgogne qu’Eudes trouve des renforts pour son armée. Trois mois plus tard, il revient briser le siège de Toulouse, sur le point de se rendre.
« Le Goth avec le Franc, aux deux bords de la Loire,
Se partageaient la Gaule et des combats sans gloire
Ne souillaient plus les eaux du fleuve ensanglanté.
Là, périssait des rois l’autorité lointaine;
Ici le Duc puissant de la fière Aquitaine
Régnait, soumis, mais indompté. »
« Aux antiques cités de la Septimanie
Rome, en mourant légua son immortel génie;
Les arts vivaient encore abrités par sa loi.
Toulouse, du passé glorieuse héritière,
Parmi ses nobles sœurs levant sa tête altière
Veillait sur l’Europe et la Foi. »
La bataille de Toulouse narrée par Eudes, prince d’Aquitaine et duc de Vasconie (665-735) :
Et le mardi 9 juin 721, à la tête d’une puissante armée de 7000 hommes aguerris et décidés, je m’avançais vers Toulouse, en quittant Montauban dès l’aube afin de devancer les fortes chaleurs, et pour pouvoir déclencher les manœuvres, alors que le jour était encore peu engagé. Et Essamh informé de mon arrivée, m’y attendait, assuré de sa supériorité en nombre et en forces. Il disposait d’environ 5000 fédayins, dont presque 1000 cavaliers, et c’était ces derniers qui m’inquiétaient le plus.
Leurs chevaux étaient très supérieurs aux nôtres, ils permettaient des manœuvres d’une telle rapidité, que les Sarrasins enveloppaient leur adversaire comme un vol de passereaux, puis ayant portés leurs coups s’en écartaient tout aussi rapidement, pour attaquer ailleurs et revenir là-bas. Ainsi, ils affolaient l’ennemi et l’amenaient à se débander, sans plus savoir où était son adversaire. Nous, avec nos lourds chevaux, ça nous était impossible. Je savais tout cela et, en conséquence, j’avais préparé un plan audacieux, basé sur la ruse, et qui pouvait nous donner la victoire s’il était bien exécuté.
En premier lieu, il me fallait faire sortir Essamh de la circonvallation. Pour cela, j’avais envoyé 2 000 hommes entourer sa tranchée, et la submerger de jets et de flèches, acculant les Sarrasins entre nous et les remparts. Il fallait absolument qu’Essamh se persuade que c’était là toute mon armée, qui volait au secours de la ville. Pour se dégager de ces moustiques qui le piqueraient massivement, et fort de sa supériorité numérique, il ferait une sortie.
Alors nos hommes reculeraient mais sans se débander, entraînant à leur suite les Sarrasins sur la via Aquitania que l’émir voudrait garder dégagée, car elle était son couloir d’approvisionnement depuis Narbonne, et éventuellement sa seule voie de rapatriement. Là, arrivé au plateau saint-Agne, à deux lieues au Sud de Toulouse, les 5000 hommes que j’y aurais conduits par un large détour, sortiraient des bois et prendraient Essamh à revers. Et j’espérai bien que, essoufflés par leur course alors qu’ils étaient immobilisés depuis six mois dans leurs tranchées devant les remparts, les Maures seraient vite submergés par mon armée en pleine forme, avec moi à sa tête.
La suite vous la connaissez. Mon plan fonctionna à merveille, sous les clameurs des toulousains montés aux créneaux. Attiré vers mes 2000 hommes, comme des mouches par un flambeau, Essamh se précipita vers eux, et se mit à courir après nos forces, qui reculèrent petit à petit comme prévu, jusqu’au plateau saint-Agne. Soudain, de derrière les ramures, je fis gronder le roulement de nos tambours.
Et voilà que, malgré la chaleur étouffante sous nos heaumes, alors que nous étions en embuscade depuis plus de deux heures sans bouger, que nos chevaux étaient agacés par les mouches et les taons, et qu’à nos pieds des milliers de grillons jouaient à plein chœur, sans doute pour nous encourager à les venger de ces mangeurs de sauterelles, nous nous élançâmes sur les Sarrasins avec nos bannières bien hautes, en poussant hurlements et cris de guerre. La surprise fut totale, et l’engagement d’une violence inouïe. Jamais de ma vie je n’ai vu pareille rivière de sang.
Dans nos rangs mêmes, des centaines de blessés moururent écrasés sous les sabots des chevaux et les pieds des fantassins. Et les mares de sang dans lesquelles ils baignaient, ressemblaient aux larges flaques d’eau après un gros orage. Moi- même, blessé à l’épaule par une flèche qui y restait planté, je dus la casser pour pouvoir continuer à combattre. Puis ce fut un coup de lance qui me transperça la cuisse. Je criai, je frappai, les yeux aspergés du sang qui giclait des plaies que faisait mon épée.
Arrosé de tout ce sang, je devais avoir l’air d’un fou, mais une force invincible me poussait toujours et toujours en avant, entraînant derrière moi d’autres hommes qui eux aussi fendaient les boucliers, taillaient les gorges, crevaient les ventres, ouvraient les crânes, en une poussée irrésistible. Enfin, je ne sais quand, je sentis un flottement chez les Sarrasins, puis leurs trompettes sonnèrent le repli. Et l’armée sarrasine en déroute se jeta sur la via Aquitania, au bout de laquelle elle espérait le salut.
Mais il n’était pas question de la laisser se débander, sans l’avoir écrasée entièrement. Et, avec Roger et Lantelmet en tête qui ne lâchaient rien, toutes nos forces restantes furent mises à accroître la débâcle des arabes. Il n’y eut pas de quartier, tous les blessés étaient achevés au fur et à mesure de notre progression, et nos cavaliers rattrapaient dans les champs les fuyards pour les sabrer. Tant que nous y vîmes clair, nous avons tué, poursuivant les Sarrasins survivants jusqu’au col de Naurouze.
Puis soudain ce fut le silence, le calme, alors nous avons regardé le ciel étoilé et nous nous sommes mis à prier pour le remercier. Et je me souviens que la tension étant tombée brutalement, je tombai moi aussi, et m’endormis d’un seul coup.
Source : La chaussée des martyrs de Gilbert Syncir
Si l’histoire retient la victoire à Poitiers en 732, la défaite de Toulouse est probablement plus déterminante pour la suite des événements, notamment parce qu’elle offre le temps nécessaire à Charles Martel pour consolider son pouvoir et bâtir une armée afin de vaincre et déjouer les prochaines avancées mauresques.
N.B. : Eudes d’Aquitaine, Eudon, Odon, appelé aussi Lude, Odoin, Odoie, dit le Grand, troisième duc d’Aquitaine et de Vasconie (688-735), Eodo dux Aquitaniorum, est né vers 665, et décédé en 735. Il est enterré dans le monastère de l’île de Ré, qu’il a fondé, à Sainte-Marie d’Alarcon. Il est le seul roi d’origines non germaniques de l’Europe occidentale. Le duc Eudes est célèbre dans l’histoire par ses guerres contre les maires du palais, et par celles qu’il a contre les Sarrasins.
Quelle belle histoire, merci mille fois!
à noter
9 juin 721: chaleur étouffante, des milliers de grillons jouaient à plein chœur…
ils roulaient au diesel à l’époque? Un commentaire les réchauffistes?
Bien intéressant récit, mais un petit problème: Montauban, présenté comme le point de départ de la chevauchée d’Eudes n’a été fondé qu’en 1144 par Alphonse Jourdain, comte de Toulouse.
Il faut faire attention à ces détails dans les récits historiques.