Bien souvent, le commun des mortels associe spontanément les régimes nationalistes comme l’archétype de la propagande et de la manipulation des foules. De nos jours, les Occidentaux vivent, consomment et jouissent sans entraves en arguant leur sacro-sainte liberté individuelle. Ils jugent allégrement les régimes politiques perçus comme trop « peu démocratiques » portant atteinte aux « droits de l’homme » (Nous connaissons la chansonnette par cœur !) Ces réactions pavloviennes ne relèvent aucunement d’une liberté d’opinion en démocratie. Elles sont généralement la conséquence d’une manipulation politico-médiatique. La Démocratie n’a-t-elle pas elle-même ses stratégies de manipulation ? Les procédés de communication ne sont-ils pas finalement davantage pervers que ceux employés par les régimes autoritaires souhaitant renouer le dialogue avec leur population ? Essayons de revenir aux origines historiques de la mise en place de la communication en démocratie au pays de l’Oncle Sam.
Il existe des ouvrages de référence concernant les stratégies de manipulation en démocratie. Les Nationalistes ne sont pas désarmés dans leurs critiques de ce régime. Les références bibliographiques proviennent souvent d’auteurs qui ne sont pas de notre école de pensée. Néanmoins, leurs essais s’avèrent être prolifiques et enrichissant. Sans nécessairement s’appesantir sur la longue liste de ces auteurs, nous pourrions citer l’essai de Noam Chomsky et d’Edward Herman intitulé La fabrication du consentement : de la propagande médiatique en démocratie paru en 1988. Nous pourrions également mentionner la Psychologie des foules de Gustave Le Bon publié à peu près un siècle auparavant. Plus largement, nous pourrions nous référer à l’ensemble de l’œuvre de George Orwell. Ces auteurs avaient perçu les dérives des régimes considérés comme « libres et démocratiques ». Tout au long du XXe siècle, c’est notamment aux États-Unis que la manipulation des foules devient une véritable institution.
1917-1939 : L’Amérique folle !
À compter de 1917, les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne. Le président Woodrow Wilson, « l’artisan de la paix » après-guerre, engage les États-Unis aux côtés de la Triple Entente (Royaume-Uni/France/Italie- la Russie tsariste est alors en plein tumulte révolutionnaire depuis février). 1917 s’avère être une date clef dans l’élaboration de la propagande gouvernementale. Les premières tentatives de manipulation publique se mettent en œuvre aux États-Unis à ce moment-là. L’armée étasunienne mène une campagne fondée sur le volontariat grâce à la fameuse affiche de l’Oncle Sam. Le gouvernement exhorte les jeunes à s’engager dans le but de défendre la démocratie universelle contre l’impérialisme germanique en Europe. Nous relevons par ailleurs des actes germanophobes à l’encontre des immigrés allemands installés aux États-Unis à partir de 1917. Loin de nous réjouir de ces actes « xénophobes », cela est toujours caustique lorsqu’ils sont perpétrés au sein d’une nation qui se prétend le gendarme du monde et de la tolérance obligatoire. En bref, l’entrée en guerre des États-Unis permettait surtout aux grands groupes financiers étasuniens de nuire aux industriels allemands, alors champions dans la production métallurgique et sidérurgique. S’agissant des Etats-Unis, la guerre représentait avant tout des intérêts financiers et économiques à l’échelle mondiale.
Edward Bernays a joué un rôle central dans l’élaboration de manipulation des masses pendant et après-guerre. Celui-ci a su orienter l’opinion publique du côté des décisions du président Wilson. Lors de la campagne présidentielle de 1916, Woodrow Wilson prônait un discours résolument pacifiste. Un an plus tard, il change radicalement de politique et entraîne son pays dans la guerre. Cela n’aurait pu se faire sans l’ingéniosité d’Edward Bernays. Il avait conscience que le terme propagande était péjoratif. Il fallait par conséquent inventer un terme plus consensuel. Les nouveaux décideurs et manipulateurs de l’information sont devenus des conseillers en relations publiques, des leaders d’opinions au service des grands groupes financiers et industriels. Après la Grande Guerre, Edward Bernays fut d’ailleurs sollicité par les grands patrons d’industrie afin de pousser les Étasuniens à la consommation. L’objectif était de transformer le citoyen en simple consommateur indifférencié. Bernays s’aida de la psychanalyse pour arriver à ses fins. Il avait un réel intérêt pour les thèses de Freud affirmant que l’homme est animé par son subconscient. L’homme ne serait donc pas libre. La communication, notamment la publicité, pourrait régir l’inconscient. Pour transformer la société, il faut changer les hommes !
Afin de transmuer l’homme en consommateur, les revendications féministes d’après-guerre constituaient un point d’ancrage pour les publicitaires. Les Suffragettes étaient alors la clé de voûte des industriels pour accroitre leurs profits. Le groupe Lucky Strike a quémandé Edward Bernays afin d’endiguer ses pertes financières. Bernays conseilla à la manufacture de tabac de cibler les femmes en priorité dans leur publicité. En exploitant les revendications féministes, la cigarette fut le moyen de l’émancipation des femmes au sein d’une société étasunienne encore conservatrice. La cigarette fut dès lors qualifiée sur les affiches publicitaires de « torche de la liberté ». La cigarette représentait la femme glamour et libérée au cœur des Années Folles.
Au nom du Progrès social (devrions-nous dire « sociétal » en l’occurrence) les industriels composent avec la moindre revendication progressiste afin de faire « évoluer » la société et les modes de consommation. Lors de l’Exposition Universelle de New York en 1939, les capitaines d’industrie ont fait de cette ville la vitrine du « monde libre ». Ils ont su changer les mentalités des Étasuniens. La démocratie ne pouvait être qu’à leurs yeux qu’une démocratie capitaliste. De plus, Il s’agissait aussi de briser les grèves dans les industries menées par nombre d’ouvriers (notons que les syndicats de l’époque étaient bien souvent corrompus et en lien avec la criminalité organisée). Les classes populaires étasuniennes étaient donc dépouillées face au monstre capitaliste. L’Amérique du Midwest rural ou de la Rust Belt industrielle souffrait alors que l’oligarchie capitaliste augmentait sans cesse ses profits.
L’ensemble de cette stratégie de manipulation des foules continuera lors de la guerre froide. Cela nécessiterait d’entreprendre des recherches plus approfondies. En revanche, nous notons qu’elle s’est accentuée après l’effondrement du Bloc soviétique. Les États-Unis régnant sur le globe à compter des années 1990, ils n’avaient plus de réels ennemis. Un régime sans adversaires est un régime instable. Il fallait par conséquent réengager une lutte factice et manichéenne pour affirmer la toute-puissance étasunienne. Les événements de 2001 se sont avérés être l’occasion idéale de déstabiliser les régimes encore insoumis à la puissance des États-Unis, ceux du Moyen Orient. Le gouvernement, l’Armée et les patrons d’industries ont manipulé l’opinion publique étasunienne pour leur faire avaler une nouvelle fois la défense du « monde libre » contre l’infâme barbarie des Nations insoumises.
Pierre Chantelouve