L’U.E. ayant obligé les Etats à mettre fin au monopole des sociétés de distribution d’électricité, leur République a, en 2004, dans une première étape, transformé le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) d’EDF en celui d’une société anonyme afin de la réduire à l’état de simple concurrent au sein du futur marché privé de distribution énergétique. La seconde étape a été la suppression du monopole d’EDF en 2007. Depuis lors, les opérateurs, dont le nombre a augmenté de 8 à 31 en une douzaine d’années, se livrent à une concurrence sauvage, la plupart du temps aux dépens de leurs clients, si bien que le nombre de litiges explose ces dernières années.
En réalité, il s’agit d’organiser artificiellement une concurrence dans la mesure où l’on ne va pas multiplier les réseaux de distribution concurrents à travers la France, de même que l’on ne va pas construire deux lignes de chemins de fer concurrentes entre, par exemple, Paris et Lyon. Ainsi, EDF se voit contrainte de vendre 25 % de sa production à ses concurrents.
Cela a trois conséquences majeures :
1 ° EDF doit vendre à un prix faible de l’électricité pour permettre à ses concurrents de vendre moins cher qu’elle-même, à savoir des sociétés comme Engie et Total.
2° Il en résulte un gaspillage de ressources puisque ces distributeurs font de la publicité, souvent mensongère et faite de harcèlements téléphoniques insupportables pour arracher des clients à EDF.
3°Tout investissement d’EDF sert à enrichir ces distributeurs alternatifs.
Mais en 2018, la situation se tend : ces sociétés concurrentes perdent de l’argent et ne peuvent plus vendre moins cher qu’EDF. Comment faire ? Le gouvernement a trouvé la solution, évidente : il suffit d’obliger EDF à augmenter ses tarifs pour que ceux de ses concurrents soient moins chers ! Bref : l’Etat macronien fait augmenter artificiellement les prix !
C’est la perversion de la concurrence qui, en principe, dans les livres d’économie, est présentée comme un moyen de faire baisser les prix. Mais, qu’à cela ne tienne : pour enrichir des prédateurs, on soutirera plus de 600 millions d’euros aux consommateurs !
Oh ! Les Français ne sont pas les seules victimes. La libéralisation du marché de l’électricité a abouti à une hausse à trois chiffres des prix de l’électricité en Espagne. Elle a également été particulièrement douloureuse au Danemark, en Suède et au Royaume-Uni.
Ainsi, le 1 er août 2019, les tarifs réglementés de vente (TRV) qui concernent encore 28 millions de ménages français, ont augmenté de 1 ,23 %. En juin 2019, ils avaient déjà bondi de 5,9 %, soit la plus forte augmentation depuis 20 ans. Cela après une vague d’augmentations annuelles entre 2010 et 2018 qui ont fait grimper le prix de l’électricité de 20 %. Celles de 2019 équivalent à une hausse de 90 euros de facture par an pour un foyer se chauffant à l’électricité, alors qu’un tiers d’entre eux a déjà du mal à boucler ses fins de mois, ce qui va concourir à multiplier les situations d’insolvabilité.
Comment en est-on arrivé là ?
Dans le sillage de la libéralisation de 2007, le gouvernement Sarkozy-Fillon a fait voter le 7 décembre 2010 la loi NOME, organisant les marchés de l’électricité. Ella créé un mécanisme dit d’« accès régulé à l’énergie nucléaire historique » ou ARENH, par lequel EDF se voit obligé de céder une part de son électricité produite grâce au nucléaire à ses concurrents pour des tarifs « représentatifs des conditions économiques de production » – dixit la loi.
En France, le secteur du nucléaire permet de produire de l’électricité à prix faible, car inférieur aux sources de production autres que l’hydraulique. L’objectif était donc de stimuler la concurrence, afin que les fournisseurs alternatifs s’approvisionnent en électricité au même coût qu’EDF et abaissent leurs tarifs de distribution. Concrètement, EDF devait céder le quart de sa production nucléaire à la concurrence privée, à un prix fixé par arrêté ministériel de 42 €/MWh. Les concurrents d’EDF avaient ainsi accès à 100 TWh/an (1 térawatt heure = 1000 Mds watts) d’électricité nucléaire.
Cependant, ces sociétés se fournissent aussi sur des marchés étrangers au sein desquels les cours de l’électricité, soumis à la conjoncture internationale, sont très instables. Parfois, comme en 2016, les prix du marché mondial s’effondrent. Durant cette période, EDF n’a par conséquent vendu aucun kilowatt à ses concurrents qui s’approvisionnaient ailleurs. D’autres fois, les prix augmentent et l’ARENH devient compétitif.
Ce mécanisme offre ainsi aux opérateurs concurrents d’EDF une opportunité d’arbitrage : ils peuvent se fournir sur le marché mondial quand les prix sont bas ou via l’ARENH quand ils sont élevés. Or, au cours des années 2010, en raison des tensions sur le marché asiatique, les prix de gros internationaux ont beaucoup augmenté, de sorte que l’ARENH est devenu ultra-compétitif au regard du marché mondial. Les fournisseurs privés internationaux se sont alors précipités vers l’ARENH et ont fait exploser son plafond de vente. 132,98 TWh d’électricité ont été demandés pour l’année 2019, soit 33 TWh de plus que la limite légale, forçant le Gouvernement et le Parlement à considérer en urgence, et contre l’avis d’EDF, une augmentation du plafond de vente. En attendant, pour continuer à fournir leurs clients, les opérateurs privés ont été contraints de se tourner vers le marché international.
Violer le réel
Les choses auraient pu en rester là, EDF voyant sa compétitivité accrue sur le marché de distribution aux particuliers. C’était oublier le dogmatisme de Bruxelles : la CRE (Commission de régulation européenne) a estimé que l’accroissement des écarts de prix de vente entre ceux d’EDF et des autres opérateurs privés représentait une menace à l’encontre du principe de libre concurrence. Elle a alors décidé d’intervenir afin d’affaiblir par la force l’avantage concurrentiel d’EDF.
En février 2019 elle a demandé au gouvernement français de mettre en œuvre une augmentation des TRV afin de respecter le principe de « contestabilité » des tarifs. Ce mot barbare désigne un marché sur lequel la concurrence potentielle garantit les prix concurrentiels, même si le marché est en réalité dominé par une seule ou par plusieurs entreprises. En clair, cela signifie que les tarifs doivent être fixés afin que tout fournisseur privé soit en mesure de les concurrencer afin de garantir son maintien sur le marché.
C’est, l’inversion totale du principe traditionnel de réglementation des marchés : on protège les intérêts de l’offre (les fournisseurs) plutôt que ceux de la demande (les ménages en l’occurrence). Ace titre, 40 % de l’augmentation du prix proposée par la CRE au Gouvernement – 3,3€/MWh sur 8,3€/MWh – n’est pas liée à la hausse objective des coûts d’exploitation d’EDF. Elle provient d’un choix consistant à faire correspondre le prix de vente de l’électricité produite par le nucléaire d’EDF à celui fixé dans le cadre de l’ARENH. La CRE vise ainsi à limiter artificiellement les effets négatifs que des TRV bas pouvaient avoir sur la capacité de pénétration et de maintien sur le marché des opérateurs privés concurrents d’EDF.
Mais, comme si cela ne suffisait pas, Bruxelles a ordonné à la France, qui a obtempéré, de supprimer définitivement son système de réglementation tarifaire. Adoptée le 11 avril 2019, la loi PACTE a ainsi programmé la suppression des TRV pour les particuliers et copropriétés au 1er juillet 2023. Elle constitue la suite logique d’un arrêt du Conseil d’État par lequel il estimait que le maintien des TRV était « contraire au droit de l’U.E. », constituant « une entrave à la réalisation de marchés de l’électricité et du gaz naturel libres et concurrentiels ».
EDF se retrouve dans une situation déloyale et insensée, que ce soit du point de vue de la mission d’intérêt général des services publics ou d’un fonctionnement concurrentiel de marché. Elle est confrontée à des concurrents qui ne produisent aucune valeur ajoutée dans l’économie, mais vivent d’une rente énergétique.
Les associations de consommateurs ont réagi mais aussi l’Autorité de la Concurrence. Dans un avis du 25 mars 2019, l’AAI (Autorité Administrative Indépendante) chargée de la réglementation des marchés en France a estimé que la hausse proposée « conduirait à faire payer aux consommateurs les effets du plafonnement de l’accès régulé à l’électricité nucléaire ». Mais le gouvernement n’en eu cure. Obliger EDF, qui a à sa charge l’ensemble des investissements infrastructurels, à subventionner des distributeurs d’électricité privés qui ne font aucun investissement dans le réseau public et qui s’enrichissent à ses dépens relève du gangstérisme.
Le principe de séparation des gestionnaires de réseau et des fournisseurs de services voulu par Bruxelles a provoqué une telle incohérence que même des structures ultra-libérales comme l’IFRAP reconnaissent qu’il n’est pas viable, voire même absurde. Selon l’IFRAP, EDF est : « victime d’un système qui contraint l’entreprise à subventionner ses propres concurrents privés alors que dans un fonctionnement de marché libéralisé, ces derniers devraient plutôt réaliser les investissements pour produire eux-mêmes de l’électricité ».
EDF fait partie de ces secteurs d’activités de réseau (trains, distribution énergétique) qui constituent des « monopoles naturels ». Cela veut dire qu’ils ont traditionnellement été organisés comme tel parce qu’ils y ont naturellement intérêt. La production d’électricité requiert une intervention des Etats ne serait-ce que parce que ces réseaux nécessitent des investissements considérables.
Dans le cadre d’un fonctionnement de marché privé du secteur de l’électricité, un autre risque est lié au fait que certaines zones rurales pourraient être purement et simplement exclus des services de distribution en raison des coûts d’accès que représentent le raccordement et l’entretien du réseau électrique pour ces derniers. Or le service public de l’électricité permet la péréquation tarifaire, en subventionnant les coûts d’accès des ménages et réalise l’équité devant le service public.
De par leur nature, il est nécessaire de soustraire à la toute-puissance du Marché des produits ou services qui, comme l’électricité, le gaz, la poste, les autoroutes ou les chemins de fer, reposent sur un réseau technique unique à l’échelle du territoire, répondent à des besoins partagés par toute la population et dont la gestion et l’entretien s’inscrivent dans le temps long qui n’est pas celui, purement conjoncturel, des marchés.
En ce domaine, la France s’était dotée de structures juridiques bien adaptées, relevant à la fois du droit privé et du droit public, qui avaient montré leur capacité à conjuguer efficacité économique et justice sociale. La privatisation détruit tout cela au bénéfice d’accapareurs, et cela avec la complicité de l’Etat.
En France comme ailleurs en Europe, il est urgent d’en finir avec ce système de prédation caractéristique d’une politique de trahison du bien commun national qui est plus que jamais la règle de droit dans leur République.
Albert FOEHR
Source : Militant – Revue nationaliste pour la défense de l’identité française et européenne, n°725, Avril 2020
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C’est aussi à chacun d’entre nous de ne pas jouer le jeu: je n’ai jamais quitté EDF, ni Orange, ni les fabricants de voitures françaises, et ce, même si ces entreprises ont souvent un comportement mondialiste.