Durant les deux premières années de gouvernement Hollande, Martine Aubry s’est abstenue de participer aux débats nationaux, se concentrant sur la mairie de Lille qu’elle dirige, sans oublier le destin national qu’elle a toujours poursuivi. Elle s’est engouffrée dans la brèche ouverte par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon pour sortir de son silence et multiplier les attaques contre le gouvernement. De par son expérience et sa position au sein du Parti socialiste, elle prend de facto la tête des frondeurs, en réclamant un changement de cap politique en matière économique. Elle a lancé l’offensive dimanche, au micro d’Europe 1 :
« Je pense qu’il y a des inflexions à faire dans la politique économique. Je parlerai dans quelque temps, les propositions je les ferai par écrit, pas dans les petites phrases »
a-t-elle déclaré, dénigrant tout de même la politique de l’exécutif en ajoutant : « la compétitivité ce n’est pas seulement le coût du travail […] on a pas besoin d’aider les banques ». Plus grave encore, interrogée sur le vote de confiance à l’Assemblée nationale, elle refusait de répondre, précisant malignement :
« Je ne suis pas députée, la confiance, elle doit être dans le pays »
Ces propos, la seule annonce de futures propositions, ont fortement déplu à Manuel Valls qui a répondu depuis l’Italie, où – les problèmes de la France et des Français n’étant visiblement pas si urgents – il participait à une manifestation politicienne de la gauche locale,.
« Elle est où l’alternative ? Si on ne fait pas attention, l’alternative en 2017 sera la droite dure ou l’extrême droite. Il n’y a pas d’alternative à gauche »
a-t-il assené, espérant ainsi mettre un terme à cette nouvelle querelle interne.
Irritée par le mépris de Manuel Valls à son encontre Martine Aubry a immédiatement réagi lundi, avec des propos largement teintés d’ironie :
« Mes propos ont été un peu mal compris. Manuel Valls n’a peut-être pas eu le temps de lire l’entièreté de ce que j’ai dit […]. Les résultats ne sont pas à la hauteur. Mais je n’ai jamais sous-estimé la gravité de la crise et la gravité de la situation laissée par la droite. Je veux juste dire les choses simplement : je suis favorable à la maîtrise de la dette et à la réduction des déficits, mais cette réduction ne peut pas se faire au détriment de la croissance. C’est pour ça que j’ai parlé de rééquilibrage. Quand la situation n’est pas bonne, il faut trouver des solutions. C’est ce que je dis à Manuel. Il faut simplement discuter. Pourquoi se crisper ? Je me suis tu pendant deux ans. Mon seul objectif ce n’est pas de gêner, mais d’être utile pour que le président et le gouvernement réussissent. Je ne suis pas là pour faire un jeu de ping-pong à l’extérieur. »
a-t-elle rétorqué depuis Lille.
C’est depuis Carthage, en Tunisie, que le « crispé » Manuel Valls – qui, comme François Hollande, ne se produit ces derniers temps qu’à l’étranger ou auprès des populations étrangères, évitant soigneusement toute apparition publique en France – a alimenté la polémique :
« Je demande aux socialistes de donner l’exemple. Le devoir impérieux d’une majorité, c’est d’être à la hauteur des responsabilités du moment. Je ne me laisse dévier par aucune polémique. Je suis preneur de toute contribution, mais je demande à chacun d’être à la hauteur des responsabilités »
rappelant que les discussions ne sont pas fermées avec le gouvernement, tant qu’elles ne remettent pas en cause la politique d’austérité imposée aux Français et le ralliement de l’exécutif au libéralisme destructeur.
Cette polémique fait échos à une autre passe d’armes survenue avant l’été entre les deux rivaux du PS. « Avec plus de méthode, on aurait eu moins de problèmes » avait lâché Martine Aubry à propos de la réforme territoriale ; « la réaction de Martine Aubry est disproportionnée » avait répliqué Manuel Valls.
Par ces échanges, Martine Aubry, qui avait pourtant était l’un des principaux soutiens au traité de Lisbonne et avait fait accepter par le PS la nécessité de repousser l’âge du départ à la retraite, s’impose en chef des « frondeurs » et, au-delà, en recours de la gauche pour 2017. Ils annoncent une dure rentrée pour Manuel Valls, moins certain que jamais d’obtenir la confiance de la gauche.