Dialogue radio intégral et inexpurgé entre le général Cogny, à Hanoï, et le général de Castries, à Điện Biên Phủ le 7 mai 1954. Enregistrement réalisé à l’époque par le grand reporter Yves Desjaques.
Question du général Cogny : « Quels sont les moyens dont vous disposez encore ? »
– Le 6′ B.P.C., le 11/1 R.C.R et ce qui restait du R.TA.
– Oui.
– En tout cas, il n’y a plus qu’à mettre une croix dessus.
– Oui.
– N’est-ce pas ? Euh… Il reste actuellement mais très amoindrie, naturellement, car on a pris, on a fait des ponctions sur tout ce qu’il y avait sur la façade ouest pour essayer de caler à l’est…
– Oui.
– … Il reste à peu près deux compagnies de chacun, deux compagnies pour les deux BEP réunis.
– Oui.
– Trois compagnies du RTM, mais qui ne valent plus rien du tout, n’est-ce-pas, absolument rien, qui sont effondrées.
– Oui.
– Deux compagnies du 8è choc.
– Oui.
– Trois compagnies du BT 2, mais c’est normal car c’est toujours, c’est le RTIVI et le BT 2 auxquels il reste le plus de monde parce que ce sont ceux qui ne se battent plus.
– Bien sûr
– N’est-ce-pas ? Et au 1/2, au 1/2 R.E.I., il reste à peu près deux compagnies au 1113. C’est, ce sont des compagnies de 70 ou de 80 (hommes).
– Oui. Je comprends bien.
– Voilà !… Alors, nous nous défendons pied à pied.
– Oui.
– Nous nous défendons pied à pied et j’estime, j’estime que le maximum de nos possibilités… (parasites)… sur la Nam Youm…
– Allô… Allô…
– Allô, vous m’entendez mon général ?
– … que le maximum de vos possibilités ?
– …c’est d’arrêter l’ennemi sur la Nam Youm.
– N’est-ce-pas ?
– Oui.
– Et encore faut-il que nous tenions la rive est, sans cela nous n’aurons plus d’eau.
– Oui, bien sûr
– N’est-ce-pas ? Alors, quoi, je vous propose d’essayer, je vais essayer de réussir ça, et n’est-ce pas, je viens de prendre, de voir Langlais, nous sommes d’accord là-dessus. Et puis, mon Dieu, eh bien, j’essaierai, j’essaierai à la faveur des circonstances, de faire filer le maximum de moyens vers le sud.
– Bien, entendu. Ce serait de nuit, probablement ?
– Comment ?
– De nuit ?
– Oui, mon général, de nuit, bien sûr.
– C’est ça, oui.
– Et je…. J’ai besoin de votre accord pour le faire.
– D’accord, mon vieux.
– Vous me donnez cet accord ?
– Je vous donne cet accord.
– Enfin, moi… je tiendrai… je tâcherai de tenir le plus longtemps possible, avec ce qui restera. Mon général ?
– Oui, d’accord, mon vieux.
– Voilà…
– Est-ce qu’au point de vue munitions, est-ce que vous… Il y a des choses à récupérer ?
– Des munitions ? C’est plus grave, nous n’en avons pas…
– Il n’y a pas des choses que…
– Nous n’en avons pas, n’est-ce-pas ? Il y a bien encore quelques munitions de 105, mais (…) elles ne servent à rien ici…
– Oui.
– … pour le moment. Et les munitions, les munitions de 120…
– Oui.
-…j’en ai, je dois avoir encore 100 150 coups
– Oui.
– Et qui sont un peu partout, n’est-ce-pas ?
– Oui, bien sûr.
– Qui sont un peu partout. On ne peut pas… Qu’il est pratiquement impossible de ramasser. Évidement plus on en enverra mieux ça vaudra, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Aussi, nous tiendrons, nous tiendrons le plus longtemps possible.
– Je pense que le mieux c’est que l’aviation fasse un gros effort d’appui de feu aujourd’hui pour tacher que le Viet s’arrête, arrête son effort.
– Eh oui, mon général.
– Et puis, alors il ne faut pas que l’aviation arrête, n’est-ce pas ? Sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. Oui, alors le Viet n’est-ce-pas, je vous donne la physionomie.
– Oui
– Le Viet a engagé, à l’est, tout ce qui lui restait de disponible.
– Oui.
– Y compris deux régiments de la 308.
– Ah bon ? Oui.
– N’est-ce-pas ? Il n’y a, il doit n’y avoir actuellement sur la face ouest…
– Oui.
– Que le régiment 36.
-36, je crois. Oui.
– N’est-ce-pas que le régiment 36, le régiment 102…
– allô, allô… allô, allô…
-ce-que vous m’entendez ?
– Et pour le régiment 102, vous disiez ?
– Oui, mon général.
– Le régiment 102 ?
– C’est qu’ils ont engagé sur la façade est…
-Oui.
– Le régiment 102 et le régiment 88.
– N’est-ce-pas ? Plus ce qui, ce qu’ils avaient de la 312.
– C’est ça. Oui.
– …Et la 316 actuellement.
– Oui
– N’est-ce-pas ?
– Ils ont mis tout le paquet sur la face est.
– Mais vous le voyez, comme je le prévoyais, la 308, je crois l’avoir dit, m’échappe, n’est-ce-pas, comme toujours.
– Bon. Alors, le repli vers le sud ? Comment voyez-vous cela ? C’est sur Isabelle ou bien éclatement ?
– Eh bien, mon général, de toute façon, de toute façon il faut… Qu’ils dépassent Isabelle vers le sud n’est-ce-pas ?
– Oui c’est ça.
– Mais je donnerai l’ordre, je donnerai l’ordre à Isabelle aussi d’essayer, d’essayer de se dégager, s’ils peuvent.
– Oui, entendu. Alors tenez-moi au courant pour qu’on puisse vous aider au maximum par l’aviation pour cette affaire-là.
-Oh, mais bien sûr, mon général.
– Voilà, mon vieux.
– Et puis mon Dieu, je garderai ici ben… les unités qui n’en veulent pas.
– C’est ça, oui.
– Euh… les comment dirai-je, évidemment, les blessés, mais dont beaucoup sont déjà aux mains de l’ennemi, parce qu’il y en avait dans les points d’appui, Eliane 4 et que… et Eliane 10, des blessés…
– Bien sûr, oui.
– N’est-ce-pas ? Et puis, je garde tout ça sous mon commandement.
– Oui, mon vieux.
– Voilà.
– Au revoir, mon vieux.
– Je peux encore vous retéléphoner avant.., avant la fin.
– Allez, au revoir, mon vieux Castries.
– Au revoir, Mon Général.
– Au revoir, mon vieux.
Vers 17 heures, le général de Castries a exposé longuement au général Cogny qu’il était submergé.
Bodet. – allô. Attendez une seconde, je vous passe le général Cogny.
– Allô… allô.., allô.
Bodet. – allô ? Je vous passe le général Cogny.
– Oui, mon général. Au revoir mon général.
Bodet. – au revoir, mon vieux. Et tous mes vœux vous accompagnent. Allez, c’est très bien.
Cogny. – allô, allô, Castries ?… allô Castries ?
– Mon général ?
– Dites-moi, mon vieux, il faut finir maintenant, bien sûr. Mais, tout ce qu’il y a de sûr, tout ce que vous avez fait est magnifique jusqu’à présent…
Le général Cogny ajoute une phrase qui a été coupée :
« Il ne faut surtout pas l’abîmer en hissant le drapeau blanc. Vous êtes submergé, mais pas de reddition, pas de drapeau blanc. »
– … Ah bien, mon général, seulement je voulais préserver les blessés.
– Oui, je sais bien. Alors faites-le, au mieux, en laissant vos (…) agir d’elles-mêmes (…). Ce que vous avez fait est trop beau pour qu’on fasse ça. Vous comprenez, mon vieux.
– Bien, mon général.
– Allez, au revoir, mon vieux, à bientôt.
Extrait (final) du film « Dien Bien Phu » de pierre schoendoerffer, 1992.