Et si Fillon gagnait quand même ? Par Jérôme Bourbon
Cette campagne présidentielle est complètement folle. Depuis 1965 et l’élection du président de la République au suffrage universel direct, c’est la première fois que nous assistons à un tel spectacle qui prouve la décomposition, la déliquescence tant de la classe politique que des institutions. Plus l’on multiplie les élections — il y en quasiment chaque année et parfois plusieurs. En 2017 il y en aura trois : présidentielle en avril-mai, législatives en juin, sénatoriales en septembre —, plus l’on multiplie les rendez-vous électoraux — les européennes datent de 1979, les régionales de 1986 —, plus la situation se dégrade dans tous les domaines : politique, économique, moral, social. Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui continuent à penser, contre l’évidence des faits, que le salut viendra des saintes urnes et qu’il suffit de voter et de faire voter pour que tout s’arrange, tout rentre dans l’ordre. L’électoralisme est une véritable religion, un culte, une drogue — il n’est que de voir l’excitation des gens à l’annonce des résultats télévisés ou lors du dépouillement dans les bureaux de vote —. L’espérance que le peuple mettait autrefois en Dieu est placée dans le bulletin. Cela demande moins d’efforts, évite toute remise en cause et cela permet la continuation et l’aggravation d’un système mortifère, intrinsèquement contre-nature fondé sur le mensonge, le règne de l’argent, des lobbies et qui nous conduit tout droit à l’abîme. Plus les années passent, plus le système se délite. Moins il parvient à montrer ce qu’il est réellement : une mafia cosmopolite au service de Mammon.
Perdant de leur force d’attraction et incapables de s’unir, les partis politiques avaient cru trouver la solution en recourant à des « primaires ouvertes ». Plus l’on veut manipuler le peuple, plus on le fait voter. Et cela marche à tous les coups. Mais patatras, loin de résoudre la crise des grands partis, les primaires qui fonctionnent comme une prison, l’aggravent. On le voit au Parti socialiste où la personne et le projet de Benoît Hamon ne correspondent pas au centre de gravité du parti. Son gauchisme que confirme son alliance avec le Vert Jadot qui a obtenu toutes les concessions programmatiques qu’il souhaitait, y compris les plus déraisonnables, alors même que ce dernier ne pesait que 1 à 2 %, conduit le candidat socialiste dans une impasse puisqu’il se retrouve pris en sandwich entre Mélenchon, plus crédible et plus talentueux que lui sur le terrain de la radicalité politique et Macron qui est le véritable héritier politique de Hollande dont il partage l’inconsistance, le goût pour le flou et la synthèse, la soumission totale à l’Europe de Bruxelles et au libéralisme économique et sociétal.
La droite parlementaire est également handicapée par les primaires. Ce qui avait été salué comme un grand succès populaire (plus de quatre millions d’électeurs) en novembre dernier apparaît aujourd’hui comme un piège. Car il n’existe aucune procédure pour démettre et remplacer le vainqueur des primaires, bientôt mis en examen, et légitimité que lui donne le scrutin de novembre, scrutin qui est une nouveauté et qui soit dit en passant n’est même pas prévu dans les institutions — le rend dans les faits indéboulonnable. Les primaires étaient présentées comme permettant un plus grand choix pour l’électeur. Et voilà qu’on lui dit aujourd’hui, à gauche comme à droite, qu’on n’a pas le choix, pas d’autre choix en tout cas que de soutenir le vainqueur de la primaire, quels que soient les événements. Et alors que les primaires devaient permettre la qualification automatique au second tour de la présidentielle des vainqueurs de chaque camp, voici que ni Hamon ni Fillon ne sont pour l’heure qualifiés pour la finale, du moins à en croire les sacro-saints sondages. Comme quoi trop d’élections tuent l’élection. Et qu’une victoire, même nette aux primaires, ne garantit pas l’accession à l’Élysée.
Dans cette affaire c’est quand même la droite parlementaire qui a de loin donné depuis six semaines le spectacle le plus navrant et en même temps le plus distrayant. Aurait-on voulu imaginer un scénario pour le septième art que l’on n’aurait pas fait mieux : à chaque jour ses rebondissements, son vrai-faux suspens, ses revirements ? Le feuilleton continue, interminable comme Les Feux de l’Amour ou Santa Barbara : c’est Fillon I, Fillon II, Fillon III, Fillon IV le retour du mort-vivant. La démocratie, c’est vraiment magique. Un opium pour le peuple. Avec chaque soir la « grand messe » du vingt heures. Avec ses examens de conscience, ses confessions, ses repentances, ses trahisons et ses pardons. Mais à la différence de la religion, la vraie, tout cela sonne faux. C’est de la fausse monnaie.
Et bien malin qui peut dire aujourd’hui qui va gagner ce scrutin. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître au vu des épisodes des dernières semaines, nous ne serions pas plus étonnés que cela si au final c’était François Fillon qui décrochât la timbale. Le public aime bien en effet le champion qui a été malmené au score, au bord de l’abandon, tout près du naufrage et qui résiste, se bat, avec orgueil et obstination, ne lâche rien. Les amateurs de tennis savent que les matchs les plus beaux sont ceux en cinq sets, lorsqu’un champion humilié, malmené, dominé, mené deux manches à zéro, résiste, revient au score et au final finit, au prix d’efforts inouïs, par renverser la vapeur et l’emporter grâce à son mental de gagnant et son refus absolu de la défaite et du renoncement. Il joue tous les points comme sa vie en dépendait. Eh bien François Fillon, quoi qu’on pense par ailleurs du personnage, de la politique qu’il a menée lorsqu’il était aux responsabilités, de sa soumission au CRIF, de son degré d’implication dans les dossiers dans lesquels il risque d’être inculpé dans quelques jours — et dans ces colonnes nous ne l’avons jamais ménagé —, a montré une incontestable capacité de résistance non seulement face à la pression médiatique et judiciaire mais aussi face aux déserteurs et aux faux amis de son camp. En quelques jours il a dû faire face à plus de trois cents désertions publiques, dont en vingt-quatre heures celles successives de son trésorier, de son porte-parole et de son directeur de campagne. Difficile d’être plus isolé et trahi. Car s’il était possible voire souhaitable de changer de candidat au début des révélations du Penelope Gate, et à la suite de son parjure mi-février à propos de sa mise en examen, vouloir le débrancher à 45 jours du premier tour, alors qu’il a ses parrainages, que juridiquement personne ne peut empêcher d’aller au bout et que la campagne officielle va bientôt commencer était objectivement une folie et une trahison. La veulerie des élus et des responsables de la “droite” dans cette affaire a été lamentable : quand il fallait agir, ils n’ont rien fait et quand il était trop tard ils ont subitement cédé à la panique, par peur de la défaite, en quittant le navire comme des rats. Le manque de courage et de caractère des responsables politiques est une donnée fondamentale qui suffirait à elle seule à expliquer notre décadence continue. Comment peut-on espérer de ces hommes si fragiles, si inconstants qu’ils résistent au pouvoir aux pressions de toutes sortes qui ne manqueront pas de s’exercer sur eux ?
Face à cette course à la lâcheté, Fillon qui est un passionné d’alpinisme et de sport automobile a montré une implacable détermination. Par pure ambition personnelle évidemment. Et non par souci du bien commun, ne nous leurrons pas. Mais aux yeux d’un grand nombre d’électeurs de droite, cette résistance sera certainement mise à son actif. De ce point de vue, le maintien dans la course de Fillon est objectivement une mauvaise nouvelle pour Marine Le Pen. Une candidature du repris de justice Juppé, détesté à droite, tant il est de centre gauche, aurait ouvert un boulevard dans lequel elle eût pu s’engouffrer. Le maintien de Fillon, la radicalisation de son discours et de sa posture — son allocution à Nîmes le 2 mars était en tous points un discours que Jean-Marie Le Pen eût pu tenir, c’en était stupéfiant : tout y était, même la lutte active contre l’immigration ! —, la force de caractère qu’il a manifestée dans l’épreuve, face au lynchage des media et de beaucoup des siens peuvent jouer un grand rôle au moment du vote.
Rien n’est encore joué. Beaucoup d’électeurs se décident très tard, dans les tous derniers jours (10 % d’entre eux ne savent même pas pour qui voter le jour du scrutin, cela en dit long là aussi sur la démocratie !) Pour peu que Fillon reste sur une ligne plutôt radicale (ce qui n’est évidemment qu’une posture pour gagner), se montre bon, calme et pédagogue dans les derniers débats télévisés, que Macron y fasse plutôt pâle figure et les cartes seraient alors redistribuées. Pourrait alors se produire la plus improbable des résurrections politiques.
Éditorial de Jérôme Bourbon dans Rivarol n°3273 du 9 mars 2017