Si les tueurs de l’État islamique (ÉI, ed-dawla el-Islāmiyya) venus de France sont les petits-fils exemplaires de la République, ils sont aussi les fils prodigues de la “dissidence”. Parmi ceux qui les ont conduits sur les chemins du ’Califat’, tous sont tenus pour des mécréants. Mais les rédacteurs de la revue francophone de l’ÉI, Dar al-Islam, discriminent entre bons et mauvais mécréants.
Alain Soral, nommé dans le dernier numéro du magazine de l’ÉI, figure dans cette dernière catégorie. L’une de ses photos est utilisée pour illustrer un article dénonçant les délires complotistes et les explications simplistes débilitantes concernant les problèmes géopolitiques en général et le groupe islamiste en particulier.
Cet article est justement signé par Marc-Édouard Nabe ; ce dernier est l’objet de louanges, placé dans la catégorie des mécréants judicieux. Un très long passage de sa revue Patience1 est repris dans la dernière livraison – réalisée après les attentats – du magazine de l’ÉI.
Dans la même catégorie des moins pires des mécréants figure Michel Onfray2. Les propagandistes d’el-Baghdadi ont utilisé un passage de l’un de ses entretiens dans une vidéo glorifiant les attaques de Paris et Saint-Denis. Les sentences du philosophe non officiel de la République, jumeau maléfique de Bernard-Henri Lévy, y justifient, en résumé, les crimes terroristes par d’autres crimes terroristes.
Depuis, Michel Onfray a interdit la diffusion de son prochain livre – sur l’islam, le sujet fait vendre jusque parmi les dissidents – en français, mais pas dans d’autres langues, et annoncé la fermeture de son compte Twitter. Marc-Édouard Nabe, à la prose « plus réaliste que l’écrasante majorité de ce qu’écrivent journalistes spécialisés et autres analystes » selon les experts islamistes, n’a pas encore réagi.
Ce recyclage de la post-dissidence française fait-il partie d’une stratégie longtermiste de séduction des intellectuels par l’ÉI ? Vise-t-il à séduire les jeunes ciblés par les recruteurs pour l’alya hallal vers le ‘Califat’ ? N’est-il que l’expression des souvenirs du début de la rébellion de jeunes immigrés découvrant avec Soral, Dieudonné ou Nabe il y a dix qu’il existait autre chose que la pensée du régime, avant de trouver une remise en cause de la société décadente plus transgressive et profonde que celle de l’ancien trio d’amis ?
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1 Le premier numéro de Patience était consacré intégralement à l’ÉI ; le n° 2 a été publié en septembre 2015 avec cette couverture :
2 Alors que celui-ci se présente dans la vidéo présentée dans cet article comme une victime désignée par les tueurs, ce qui n’est clairement pas le cas.