L’armée turque a effectué une importante opération militaire en Syrie, mobilisant 572 soldats et une quarantaine de chars et plusieurs dizaines de blindés, dans la nuit de samedi à dimanche. L’objectif, atteint, de la mission, était de rapatrier en Turquie 38 soldats turcs qui gardaient un tombeau sur un territoire de l’État islamique (ÉI). Le gouvernement a affirmé avoir agi après une nouvelle dégradation de la situation sécuritaire dans la région. Le mausolée abrite les restes, également ramenés, de Souleimane Shah1, grand-père d’Osman Ier, le fondateur de l’Empire ottoman qui occupa durant plusieurs siècles de larges pans de l’Europe, réduisant des centaines de milliers d’Européens en esclavage et massacrant plusieurs centaines de milliers d’autres.
La France avait accordé à ce mausolée un statut particulier alors qu’elle disposait d’un mandat pour diriger la Syrie au début des années 1920. Le gouvernement turc a interprété les textes comme accordant à ce mausolée le statut d’enclave turque en Syrie.
Le passage de l’armée turque en Syrie, à 37 kilomètres à l’intérieur des terres, s’est déroulé sans problème. L’armée turque n’a déploré qu’un mort, un soldat tué accidentellement durant le passage vers la Syrie.
Cette facilité d’exécution a relancé les rumeurs sur les liens entre la Turquie et les groupes terroristes islamistes. L’armée a-t-elle conclu un pacte de non-agression pour récupérer le corps de Souleiman Shah ? Les militaires turcs ont-ils bénéficié d’une entente plus large entre l’ÉI et leur gouvernement ? Malgré sa collaboration officielle avec la coalition anti-Éi, ce dernier n’a toujours pas fermé la frontière avec la Syrie, permettant à l’État islamique d’être alimenté en hommes depuis l’Europe notamment et de survivre grâce à la contrebande, de pétrole notamment, la Turquie étant l’un des rares accès sur le monde extérieur du groupe criminel.
La démesure de l’opération, la débauche de moyen utilisé et la publicité de l’événement laissent à penser que plus que le sauvetage d’un mausolée, la Turquie tenait à adresser un message au gouvernement syrien alors que les États-Unis et la Turquie entraînent et équipent les « rebelles ». Le gouvernement turc s’assure ainsi également que les Kurdes, très agités ces derniers mois, ne franchissent pas la ligne jaune et soient assurés de la détermination de l’armée turque.
Si la Turquie a prévenu de son entrée sur le territoire syrien les « rebelles », les autorités légitimes syriennes n’ont pas été informées. Le gouvernement syrien a dénoncé une « agression flagrante » commise par l’armée turque sur son territoire. Les soldats turcs se sont emparés d’un nouveau territoire syrien près de la frontière pour y construire un nouveau mausolée, sans concertation avec la Syrie.
« La Turquie ne se contente pas de fournir tout type de soutien aux bandes de l’État islamique, du Front al-Nosra et d’autres groupes terroristes liés à al-Qaïda, mais a également mené à l’aube une agression flagrante sur le territoire syrien »
a dénoncé le ministère des Affaires étrangères syrien. En Turquie également, cette spectaculaire opération terrestre a été critiquée, vue par les opposants à Recep Tayyip Erdoğan comme un recul et une défaite, aggravés par le fait que les soldats se sont retirés sans avoir combattu.
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1 Suleyman Shah mourut noyé dans l’Euphrate vers 1236 en fuyant les Mongols qui attaquaient son territoire.