Les talibans ont fortement accentué leur pression sur Koundouz hier, menant une importante attaque dans cette capitale provinciale du nord de l’Afghanistan, frontalière avec le Tadjikistan. Après un siège de plusieurs mois resté jusqu’ici infructueux, les islamistes semblent avoir pris le contrôle de la totalité de la ville hier.
Une victoire dans un contexte général de progression
Les talibans étaient restés influents dans la région ces quinze dernières années, malgré la mise en place d’un nouveau pouvoir consécutif à l’invasion américaine de 2001 ; selon un responsable provincial, ils contrôlaient les deux tiers du territoire. La province, économiquement importante dans la vie afghane, est historiquement l’un des bastions du groupe islamiste. Ces derniers jours, ils avaient pris le contrôle de plusieurs villages de la périphérie de la capitale provinciale.
Il s’agit d’une attaque et d’une avancée inédites depuis la chute des talibans, qui s’inscrit dans une stratégie offensive décidée par le nouveau chef du groupe islamiste. Plusieurs actions d’envergure ont été menées ces dernières semaines. Outre l’intense activité dans la région de Koundouz, le parlement à Kaboul a été attaqué en juin ; fin juillet, les talibans ont pris la base de Tirgaran dans la province du Badakhchan ; en août, une attaque contre le camp Intregrity, près de la capitale, avait fait une cinquantaine de morts. Les pourparlers de paix, menés sous l’égide de la Chine notamment, semblent définitivement enterrés.
Un succès important pour Akhtar Mohammad Mansour
Les talibans ont largement commenté et fêté cette victoire. Dans un communiqué, les représentants de l’Émirat islamique d’Afghanistan ont affirmé n’avoir pas l’intention de piller la ville, qui abrite plusieurs dizaines de milliers d’habitants (des sources évoquent 150 000 à 300 000 habitants), ajoutant que les combattants veilleraient à la sécurité des biens et des personnes. Ils ont appelé les habitants à poursuivre leurs activités habituelles en coopérant avec les nouvelles autorités, promettant l’amnistie à ceux qui les rejoindraient. Des sources locales ont évoqué cependant hier une situation chaotique, avec l’incendie du siège de la police notamment.
Durant la journée d’hier, les talibans ont revendiqué la prise de l’hôpital, de la prison – où 700 détenus auraient été libérés –, et finalement de l’aéroport. Des photos montrant le drapeau blanc des talibans flottant en divers points de la ville ont été diffusées. Il y aurait eu peu de combats et la victoire des talibans semble être surtout le fait de la fuite des forces afghanes et du départ des milices tribales.
Il s’agit d’une grande victoire symbolique pour le nouveau chef des talibans, Akhtar Mohammad Mansour, alors que sa prise de pouvoir a été contestée ces dernières semaines et que des groupes concurrents sont apparus depuis. Si des attentats menés au nom de l’État islamique (ÉI) ont été perpétrés ces derniers jours, les talibans montrent que leur pouvoir et leur capacité d’action sont bien plus importants.
L’inefficience du régime de Kaboul
Les forces afghanes semblent avoir totalement évacué la zone. Les autorités ont annoncé l’envoi de renforts sur place. Une contre-offensive pourrait être victorieuse si le pouvoir concentre de fortes forces sur cet objectif, mais au cours des derniers mois, au fur et à mesure que la pression sur Koundouz s’accentuait, Kaboul a été incapable de réagir et de repousser les talibans. S’appuyant sur les tribus locales, le gouvernement avait été contraint de faire appel aux milices pour s’opposer aux talibans.
Les miliciens eux-mêmes avaient cependant été incapables de faire face aux avancées des islamistes ; ils avaient mis en garde les autorités contre cette progression et appelé à l’aide leurs voisins, en grande partie en vain. Les milices semblent avoir refusé de combattre hier, laissant le champ libre aux combattants islamistes.
L’échec tombe à un mauvais moment pour le président afghan Ashraf Ghani dont le régime n’a jamais paru aussi faible et fragile. L’un des arguments principaux du pouvoir était jusqu’ici qu’il avait réussi à maintenir l’insurrection loin des villes ; ce nouvel échec ne contribuera pas à l’amélioration du moral des troupes afghanes.
La reconquête de la ville pourrait se faire avec l’aide de l’aviation et des « conseillers » américains. Selon un analyste politique, Haroun Mir, les talibans ne disposeraient pas des forces nécessaires à l’heure actuelle pour tenir la ville ; leur objectif serait dans tous les cas déjà atteint : une victoire médiatique retentissante.
Neuf mois après la fin officielle de la mission de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le retrait de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS/ISAF), le gouvernement afghan est plus que jamais en grande difficulté dans sa guerre contre les rebellions islamistes.
L’échec américain
Cette conquête des talibans intervient aussi à un mauvais moment pour les autorités américaines, à quelques jours d’un entretien auquel doit se soumettre le général John F. Campbell devant les parlementaires américains sur la situation en Afghanistan. Environ 10 000 soldats de l’OTAN demeurent sur place actuellement, officiellement pour des missions de conseil et de formation. Les forces formées par les Américains semblent incapables de faire face aux talibans ; des sources affirment que les autorités disposaient pourtant d’environ 7 000 hommes dans le secteur de Koundouz contre seulement 500 talibans.
L’opération américaine en Afghanistan, après quatorze ans, s’est achevée comme l’intervention russe durant les années 1980 par un échec, laissant, comme en 1989, les factions afghanes en conflit, avec comme importante différence l’existence d’un pouvoir islamiste solide et influent à travers tout le pays, prêt à redonner à un pays miné par les divisions son unité.