Lors de son irruption sur la scène médiatique en 2013, l’État islamique (ÉI) fut connu comme l’ÉIIL (État islamique en Irak et au Levant). Ce sigle et ce nom ont été utilisés durant plusieurs mois avant que l’ÉI ne se désigne plus que comme « État islamique ». Le groupe terroriste islamiste voulait ainsi imposer dans le vocabulaire une réalité politique : la prise de pouvoir par l’ÉI sur de larges portions des territoires syrien et irakien. Le renforcement de sa domination sur ces terres a conduit depuis à la proclamation d’un « califat », un État qui n’est reconnu par aucun autre, comme c’est le cas de nombreuses entités à travers le monde. L’utilisation du terme de « califat » suppose sans doute l’acceptation du fait accompli.
Ce n’est pas ce terme qui pose un soudain problème de conscience aux dirigeants. Depuis quelques jours le gouvernement a tenté de lancer une mode pour que l’ÉI ne soit plus appelé que ‘Daesh’. François Hollande puis Laurent Fabius ont imposé cet « élément de langage » au gouvernement, et repris depuis par plusieurs ministres. Même Jean-Luc Mélenchon a proposé de n’utiliser plus que ce terme. Incompréhensible en français, il ajoute pourtant encore à la confusion des esprits : un nom de plus dans la myriade de mouvements du même genre (Front islamique du salut, al-Qaïda, AQMI, talibans, le Groupe islamique armé, Boko Haram, Ansar Dine, les Shebabs, Abu Sayyaf, Sharia Jamaat, etc.), dont on nous dit à chaque fois qu’« ils ne représentent pas l’Islam », alors qu’eux prétendent, au contraire, ne représenter que cela. Mais « par respect pour l’Islam », il faudrait bannir des expressions contenant le terme islam.
Si le terme ‘Daesh’ a tout pour plaire à Jean-Luc Mélenchon – il est tiré directement de l’arabe – cette guerre sémantique est d’autant plus incompréhensible que l’État islamique n’est responsable jusqu’ici que de quelques dizaines de milliers de morts au maximum. Un bilan très loin des 120 millions de morts du marxisme dont se réclame le dirigeant d’un parti que personne n’appelle « Front du marxisme criminel » ou « Parti des communistes meurtriers de masse ».
Cette logique de manipulation du vocabulaire est typique des démocrates, particulièrement des marxistes culturels. Elle n’est pas nouvelle et illustre à merveille leur mentalité. Interdire d’appeler un problème par son nom et donc d’en parler clairement, cela permet de faire oublier, ici, la responsabilité des « Occidentaux » dans la naissance du ‘Daesh’ et l’affirmation d’un problème que les gouvernements ne savent pas – ou ne veulent pas – résoudre.
Dans l’histoire le « nazi », utilisé à l’origine par les communistes juifs pour désigner les nationaux-socialistes puis employé par tous les ennemis de l’Europe jusqu’à devenir le seul terme officiel et acceptable, est peut-être l’exemple le plus réussi de la propagande des démocraties, parvenant à faire oublier leurs innombrables crimes – par l’invention d’autres – et leur culpabilité originelle.
L’utilisation du terme ‘Daesh’ a d’autant moins de sens ici qu’il est l’abréviation en arabe de l’État islamique en Irak et au Levant, comportant, donc, clairement le nom d’« État islamique » que prétend éviter Laurent Fabius en employant ‘Daesh’.
« Le groupe terroriste dont il s’agit n’est pas un État. Je recommande de ne pas utiliser l’expression État islamique, car cela occasionne une confusion : islam, islamistes, musulmans. Il s’agit de ce que les Arabes [sic] appellent “Daesh” et de ce que j’appellerais les “égorgeurs de Daesh” »
Il est plus facile de tricher avec les mots, de manipuler l’imaginaire, que de lutter sur ce qui est, de dénoncer l’invasion, le mondialisme, le multiculturalisme, que d’avouer sa responsabilité – sa culpabilité – dans la survenue de ces faits qui apparaissent dans leur vérité nue : des dangers mortels, contre lesquels on ne luttera certainement pas en s’adonnant à des querelles picrocholines sémantiques. Ce n’est pas en substituant des mots à d’autres qu’un jeune interrogé sur six en France n’avouera pas sa sympathie pour l’État islamique-Daesh, une réalité révélée par un sondage publié en août.