Nous publions le texte de la conférence prononcée à Toulouse, le 11 avril dernier, par Jean-Yves Dufour, essayiste et romancier, à l’invitation du Cercle Eudes D’Aquitaine, et qu’il a bien voulu nous confier.
Ce que nous appelons « construction européenne » n’a jamais eu l’Europe géographique comme départ ni comme finalité. Il s’agissait déjà à la fin du dix-neuvième siècle – à une époque où la France et le Royaume-Uni dominaient presque le monde entier grâce à leurs immenses empires respectifs – d’unifier politiquement et économiquement la planète. A l’origine, il y a John Ruskin (1819-1900), fils de bonne famille britannique, artiste et voyageur qui finira professeur d’art à Oxford et qui inspirera George Bernard Shaw (1856-1950) et Cecil Rhodes (1853-1902). Rhodes, fondateur de la Rhodésie, magnat du diamant et Premier Ministre de la colonie sud-africaine du Cap (1890-1896), créateur des bourses Rhodes destinées aux futurs étudiants méritants d’Oxford, était un impérialiste fanatique ; Shaw, un écrivain bohème devenu socialiste sous l’influence de Karl Marx. Autour de Cecil Rhodes va se constituer un noyau dur d’impérialistes britanniques regroupant notamment le journaliste William Thomas Stead (1849-1912), l’historien Reginald Brett (1852-1930, futur Lord Esher), le futur Premier Ministre du Royaume-Uni (1902-1905) Lord Arthur James Balfour (1848-1930), l’administrateur colonial Harry Johnston (1858-1927), Lord Albert Grey (1851-1917), gouverneur général du Canada (1904-1911) et Lord Nathan Mayer Rothschild (1840-1915), banquier international.
En 1884 est fondée la Société fabienne – qui existe encore aujourd’hui – carrefour à la fois de l’impérialisme britannique, du socialisme réformateur et du mondialisme (prônant un gouvernement mondial). Son principal créateur, le spiritualiste socialiste Frank Podmore (1856-1910), et les autres membres fondateurs, se verront très rapidement relégués au second-plan par des nouveaux arrivants qui vont s’approprier la Société fabienne : Bernard Shaw, l’économiste Sidney Webb (1859-1947, futur Lord Passfield et secrétaire d’Etat de 1929 à 1931), sa future épouse l’intellectuelle Beatrice Potter (1858-1943) et le professeur de science politique Graham Wallas (1858-1932). D’autres personnalités célèbres rejoindront bientôt la Société fabienne : l’écrivain Herbert George Wells (1866-1946), la militante socialiste Annie Besant (1847-1933), qui à partir de 1907 reprendra la direction de la Société théosophique (qu’elle a connue par l’intermédiaire de William Stead, rédacteur-en-chef de la Pall Mall Gazette dans laquelle elle écrivait) de l’occultiste Helena Blavatsky. Podmore eut l’idée du nom de cette organisation en référence au consul et dictateur romain Fabius Cunctator (dit « Le temporisateur ») qui utilisa victorieusement la guerre d’usure contre le général carthaginois Hannibal : la Société fabienne prône une méthode progressive et institutionnelle de changement politique, un travail à long terme d’infiltration et de pénétration du Système, plutôt que la révolution brutale. C’est pourquoi le blason de l’organisation représentera un loup portant une peau d’agneau. La Société fabienne cherchera à fusionner le capitalisme avec le planisme et le technocratisme socialistes (soit le pire de la droite avec le pire de la gauche) pour aboutir à un gouvernement mondial centralisé paternaliste et communiste. Cette doctrine deviendra le travaillisme au Royaume-Uni. Pour former les futures élites mondiales, notamment dans le domaine universitaire et journalistique, Graham Wallas, Bernard Shaw et les époux Webb, profitant de l’élection de Sidney Webb au London County Council en charge des questions d’éducation depuis 1891, vont créer en 1895 la London School of Economics (LSE), université spécialisée en politique et en économie qui aujourd’hui encore sert de principal relai aux idées mondialistes. Le premier directeur de la LSE sera William Hewins (1865-1931), qui travaillera ensuite pour le parlementaire et futur secrétaire d’Etat (1910-1914) Joseph Chamberlain (1836-1914). Le All Souls College d’Oxford sera également un établissement dédié aux vues mondialistes.
Reprenant l’héritage impérialiste de Cecil Rhodes, de Lord Charles Dilke (1843-1911, parlementaire auteur du manifeste impérialiste Greater Britain en 1868) et de Joseph Chamberlain, Lord Alfred Milner (1854-1925, administrateur colonial, ambassadeur et futur secrétaire d’Etat de 1918 à 1921) va créer la Round Table en 1909 avec Arthur Balfour, l’administrateur Lionel Curtis (1872-1955, secrétaire de Milner pendant la seconde guerre des Boers) et le colonel américain Edward Mandell House (1858-1938). Ce think tank diffusera la vision impérialiste de John Ruskin et sera financé dès sa création par Nathan Mayer Rothschild et les grandes banques Lazard et J.P. Morgan & Co. Par la suite, plusieurs fondations seront créées dans le but de financer des projets mondialistes de toute nature : la Fondation Carnegie pour la paix internationale en 1910, la Fondation Rockefeller en 1913 et la Fondation Ford en 1936. En 1912, le colonel House publiera Philip Dru, administrator. A story of tomorrow, un roman qui pose les bases pratiques du mondialisme.
En 1913 aura lieu un coup d’Etat financier à la suite du Federal Reserve Act qui instituera la Réserve fédérale des Etats-Unis (FED), offrant la création monétaire du dollar américain à quelques banquiers privés. La réunion secrète de Jekyll Island rassemblera les représentants des banques Rothschild, Rockefeller, J.P. Morgan & Co, le banquier international Paul Warburg (1868-1932) et le colonel House, ancien soutien et conseiller du président américain à peine élu Woodrow Wilson (1856-1924).
Un Français, représentant de commerce en cognac et mystérieusement proche des impérialistes britanniques, Jean Monnet (1888-1979), jeune banquier de la Blair & Co (associée de la Chase Manhattan Bank des Rockefeller) et protégé de Paul Warburg, va servir de lien entre la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique. Réformé, il va néanmoins dès le début de la première guerre mondiale obtenir un entretien avec le Président du Conseil René Viviani et le convaincre, grâce au ministre du commerce Etienne Clémentel, de créer un pôle maritime franco-britannique pour optimiser le transport de vivres, munitions et autres matières premières entre les deux pays alliés. Il travaillera avec Lord Arthur Salter (1881-1875), membre du Groupe de Milner et chef de la marine marchande britannique. En 1916, Monnet deviendra le responsable de la coordination des ressources alliées, sous le statut de haut fonctionnaire interallié au sein du Wheat Executive. Il travaillera par exemple avec Lord Robert Brand (1878-1963), ancien d’All Souls College, secrétaire d’Alfred Milner, chef de la mission de ravitaillement anglaise aux Etats-Unis et président du conseil britannique d’approvisionnement en Amérique du nord.
C’est après la guerre que les choses deviennent intéressantes. Il y avait déjà eu des penseurs de règles internationales comme Hugo Grotius au dix-septième siècle. Plus tard, quelques progrès ont été réalisés : le traité de Paris de 1856, signé par plus de cinquante pays ; la Convention de Genève de 1864 ; la première conférence de La Haye de 1899… La conférence de la paix débouchera sur le traité de Versailles en 1919 et la création de la Société des nations (SDN) dont certains délégués s’appuient sur les textes et idées propagés par la Société fabienne. On y retrouve notamment Lionel Curtis, qui fera partie plus tard du RIIA, du CFR et influencera la création du Commonwealth après la décolonisation en 1949 ; John Foster Dulles (1888-1959), diplomate, intime de Jean Monnet et futur secrétaire d’Etat sous Eisenhower (1953-1959) ; William Bullitt (1891-1967), diplomate, ambassadeur américain en URSS et en France, lui aussi ami de Jean Monnet ; Philip Kerr (1882-1940, Lord Lothian), secrétaire du Premier Ministre David Lloyd George de 1916 à 1921 et ambassadeur ; ou encore Clarence Streit (1896-1986), journaliste membre du Groupe de Milner. Les principaux signataires anglo-américains du traité sont le président Wilson, le colonel House, Alfred Milner et Arthur Balfour.
Monnet sera nommé numéro deux de la SDN à Genève, soit adjoint du secrétaire général Sir (futur lord) Eric Drummond (1876-1951), diplomate proche de Balfour et House.
En 1920, les fabianistes et les membres du Groupe de Milner (noyau dur de la Round Table) vont créer le Royal Institute of International Affairs (RIIA, ou Chatham House), think tank où s’élaborera désormais la politique étrangère du Royaume-Uni. Le colonel House et le président Wilson créeront son équivalent américain en 1921 : le Council on Foreign Relations (CFR). L’un des cofondateurs du RIIA est Arnold Joseph Toynbee (1889-1975), historien et diplomate, enseignant à la LSE et disciple de Ruskin. On dédia à son oncle, l’économiste Arnold Toynbee (1852-1883), le Toynbee Hall à Londres, parce qu’il fut l’un des premiers à vouloir rassembler les classes sociales. Cecil Rhodes eut aussi droit à son monument, Rhodes House, à Oxford.
La fin de la guerre va progressivement stopper l’intérêt de la SDN dans l’esprit des hommes politiques. Monnet en démissionnera en 1923. Il travaillera entre la France et les Etats-Unis et sera proche à la fois du gouverneur de la Banque de France et de celui de la FED. Mais la propagande mondialiste va se poursuivre, notamment avec le comte Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972) qui va lancer le Mouvement pour les Etats-Unis d’Europe, ou Mouvement paneuropéen, en 1920, dont Aristide Briand (1862-1932, moult fois ministre et Président du Conseil de 1908 à 1929) sera président d’honneur. En 1926, le Mouvement paneuropéen deviendra Union paneuropéenne internationale. En 1928, H.G. Wells publie The open conspiracy, dans l’esprit de la Société fabienne. En 1931, Aristide Briand publie Les Etats-Unis d’Europe. En 1938, Philipp Kerr crée l’Institut Federal Union, qui fera partie de l’Union des fédéralistes européens (tout comme par exemple l’Union européenne des fédéralistes d’Henri Frenay (1905-1988), résistant cofondateur du réseau Combat, gaulliste devenu mondialiste) à partir de 1946, et du Mouvement fédéraliste mondial à partir de 1947. En 1939, Clarence Streit publie Union now qui plaide pour un gouvernement mondial, tout comme H.G. Wells qui publie The new world order.
Après la FED arrive un second coup d’Etat financier qui va donner une plus grande indépendance aux gouverneurs des banques centrales. Suite au Plan Dawes de 1924 (mis en oeuvre côté britannique par Robert Molesworth (1871-1954, Lord Kindersley), membre du Groupe de Milner, gouverneur de la banque Hudson’s bay company pour laquelle travailla Jean Monnet, directeur de la Bank of England et président de la banque Lazard Brothers & Co), qui avait fait se retirer l’armée française occupant la Ruhr en 1925, le rapport Young de 1929, dont le Plan Young devait rééchelonner les dettes de l’Allemagne, sert de base à la création en 1930 de la Banque des règlements internationaux (BRI).
Dès le début de la seconde guerre mondiale, Jean Monnet et son ami Arthur Salter (qui deviendra parlementaire et ministre après la guerre) relancent un Comité interdépartemental franco-britannique pour les approvisionnements et les achats de matériel de guerre, comme ils l’avaient fait en 1914. Leur objectif est de créer une union franco-britannique capable d’imposer aux deux pays une politique commune. Avec la défaite de la France et l’Occupation, cela ne se fera pas. En 1940, le Royaume-Uni se tourne donc vers les Etats-Unis d’Amérique que Jean Monnet va rejoindre dans le cadre du British Supply Council pour lequel travaille son ami John Foster Dulles. Il va ensuite travailler au Victory Program en 1942 et à l’UNRRA (Administration des Nations Unies pour le secours et la reconstruction) en 1943 avant d’intégrer le Comité français de libération nationale (CFLN) gaulliste à Alger, malgré son animosité envers Charles de Gaulle (1890-1970), qu’il considère comme un danger pour la France (comprendre la France souveraine) et les notes secrètes qu’il a fait transmettre dans ce sens à Harry Hopkins (1890-1946), ancien secrétaire du commerce et conseiller du président américain Franklin Delano Roosevelt (1882-1945).
Une autre personnalité politique de premier plan, Edward Frederick Lindley Wood (1881-1959, Lord Halifax), ancien élève de All Souls College, successeur de Philip Kerr comme ambassadeur aux Etats-Unis, ancien secrétaire d’Etat à la guerre et secrétaire du Foreign Office (ministère des affaires étrangères), fit tout pour limiter la voix de De Gaulle à Londres et à la BBC. Monnet avait déjà rencontré Hopkins, fabien proche de John Foster Dulles et inspirateur du New Deal, qui lui avaient présenté Clarence Streit. Un second inspirateur du New Deal également ami de Monnet fut Felix Frankfurter (1882-1965), fondateur du Harvard socialist club (regroupant des socialistes impérialistes), juriste, membre de la Round Table et du CFR, nommé juge de la Cour Suprême par Roosevelt après avoir été son conseiller pendant la campagne électorale. Un autre ami de Jean Monnet fut John McCloy (1895-1989), assistant du secrétaire d’Etat à la guerre pendant la seconde guerre mondiale, qui deviendra par la suite président de la Banque mondiale, président de la Chase Manhattan Bank, président de la Fondation Ford et président du CFR, prouvant par-là que toutes ces organisations sont liées. Il fut aussi conseiller des présidents américains Kennedy, Johnson, Nixon, Carter et Reagan. C’est encore Jean Monnet, enfin, qui en 1944 informera par mégarde les gaullistes du plan américain de l’AMGOT, gouvernement militaire allié des territoires occupés, c’est-à-dire libérés par les Américains : la France aurait dû se retrouver sous le contrôle des Etats-Unis d’Amérique, aux niveaux politique et monétaire avec la création d’un dollar français. Mais De Gaulle pourra réagir à temps.
Avant même la fin de la guerre, les institutions mondiales d’après-guerre sont envisagées. La conférence de Bretton Woods de 1944, organisée notamment par Dean Acheson (1893-1971, diplomate qui deviendra secrétaire d’Etat de 1949 à 1953) accouchera des Accords de Bretton Woods qui créeront l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’UNESCO (agence de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture) et le Fonds monétaire international (FMI) en 1945. La même année sera également créée la Banque mondiale.
Avant de démissionner en 1946, le général De Gaulle avait nommé Jean Monnet commissaire général au Plan, fonction qu’il occupera jusqu’en 1952. Le Commissariat général au Plan (CGP) fut imprégné de l’esprit fabien, le même d’ailleurs que celui des technocrates que le régime de Vichy avait déjà formés via l’école des cadres d’Uriage. Monnet va organiser des « missions de productivité » aux Etats-Unis pour copier la façon de travailler des entreprises américaines et s’entourer d’Américains parmi ses collaborateurs à Paris : Robert Nathan (1908-2001), économiste, ancien directeur de recherche des Defense agencies du War Production Board avec lequel il a travaillé au Victory Program ; Edward Bernstein (1905-1996), économiste, premier directeur des études du FMI ; et William Tomlison, représentant du Trésor américain. Les deux autres collaborateurs de Monnet au CGP sont Etienne Hirsch (1901-1994), ingénieur et résistant qui avait déjà travaillé à Alger avec Monnet, et l’économiste Pierre Uri (1911-1992).
Les Américains ont dû abandonner l’AMGOT mais ils n’ont pas abandonné l’idée de soumettre la France. En 1946 sont signés les accords Blum-Byrnes entre l’ancien dirigeant de la SFIO et président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) Léon Blum (1872-1950), le secrétaire d’Etat américain James F. Byrnes et le commissaire général au Plan Jean Monnet, qui accordent une remise de dettes et de nouveaux prêts contre la facilité de pénétration en France des films d’Hollywood et la diffusion de l’american way of life. Dans la suite logique de l’UNRRA, Monnet travaille avec les ambassadeurs américains David K.E. Bruce (1898-1977), diplomate, responsable de l’Office of Strategic Service (OSS, agence du renseignement américain) en Europe et cofondateur de la Centrale Intelligence Agency (CIA, agence fédérale du renseignement américain, bien qu’indépendante du gouvernement américain) en 1947, et William Averell Harriman (1891-1986), diplomate, ancien directeur du commerce extérieur devenu Secrétaire du commerce, sur le Plan Marshall qui accordent aux pays d’Europe des prêts américains en échange d’achats par ces mêmes pays de produits américains pour leur reconstruction. C’est dans cette optique qu’est signé en 1947 l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), premier accord multilatéral de libre-échange pour une harmonisation des politiques douanières. C’est toujours dans ce cadre, afin de répartir les crédits du Plan Marshall et de promouvoir les coopérations économiques interétatiques et le libre-échange mondial qu’est créée l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) qui deviendra l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1961.
En 1946 est cofondée notamment par Paul van Zeeland (1893-1973), économiste, banquier et ancien Premier Ministre belge ; et Jozef Retinger (1888-1960), diplomate polonais et ancien étudiant de la LSE, la Ligue européenne de coopération économique (LECE). Retinger deviendra en 1947 le secrétaire général du Comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne. En 1948, Allen Dulles (1893-1969), frère de John Foster Dulles, ancien chef des opérations de l’OSS (1942-1945) et William Donovan (1883-1959), fondateur de l’OSS, créent le Comité américain pour une Europe unie (ACUE, American Committee on United Europe). Donovan en deviendra le président en 1949. En 1953, il inspirera la création de la CIA, dont Allen Dulles deviendra le premier directeur. Mais la propagande ne continue pas que côté américain : toujours en 1948, Lord William Beveridge (1879-1963), économiste et ancien directeur de la LSE, publie The crusade for world government. Jean Monnet propose à son ami René Mayer (1895-1972), haut-fonctionnaire et ministre en fonction, une fédération de l’Ouest incluant le Royaume-Uni. Au congrès de La Haye de 1948, dont les présidents d’honneur de cette grand-messe fédéraliste sont Winston Churchill (1874-1965), fort de son United Europe Movement, et Léon Blum, se réunissent presque huit cents délégués d’organisations européistes, qui conduira à la création du Mouvement européen (d’essence fédéraliste) qui lui-même donnera naissance, avec le traité de Londres de 1949, au Conseil de l’Europe. Parmi les autres relais européistes de cette époque, on peut citer l’ingénieur social Walter Lippmann (1889-1974), membre de la Société fabienne, disciple de Graham Wallas et artisan du traité de Versailles ; les époux Graham (à travers le Washington Post) ; Le Monde (d’Hubert Beuve-Méry), ; The Times (contrôlé par le Groupe de Milner) et la CIA (notamment via Frank Wisner) – entre 1949 et 1959, la CIA aurait versé cinquante millions de dollars à différents mouvements européistes par le biais de l’ACUE.
Ironiquement, les Alliés anglo-américains vont construire l’Europe telle que l’auraient voulue les architectes pangermanistes : une idéologie impérialiste antinationale, une fédération européenne, un gouvernement supranational… seule la politique changera. En 1950, Etienne Hirsch élabore la déclaration Schuman (du nom de Robert Schuman (1886-1963), ancien député de centre-droit ayant voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qui sera utilisé et nommé ministre des affaires étrangères « sur ordre exprès de Washington » afin de « régler la question allemande ») avec Monnet et Bernard Clappier (1913-1999), haut-fonctionnaire, directeur de cabinet de Schuman, qui deviendra plus tard négociateur de la CEE et du Système monétaire européen, gouverneur de la Banque de France et vice-président de la BRI. La déclaration Schuman débouchera en 1951 sur la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), inspirée par Arthur Salter lors de la première guerre mondiale. Il s’agit d’une institution supranationale regroupant la France, la RFA, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, dirigée par une Haute Autorité (HA) dont Jean Monnet prendra la première direction en 1952 (Hirsch lui succèdera au CGP). Dans son discours d’introduction du 10 août 1952, il proclame être le dirigeant du « premier gouvernement d’Europe de l’histoire » et vouloir être « indépendant des Etats ». C’est aussi ce que dira l’ancien gouverneur de la Banque de France Jean-Claude Trichet en prenant ses fonctions de président de la Banque centrale européenne (BCE) en 2003. Comme le disait Sir Christopher Soames (1920-1987), gendre de Churchill, plusieurs fois ministre, ambassadeur en France, commissaire européen et dernier gouverneur de la Rhodésie du sud : « Dans une organisation internationale, il faut toujours mettre un Français à la tête, car les Français sont les seuls à ne jamais y défendre les intérêts de leur pays. » Des Anglais (via le Joint Committee) et des Américains participeront aux travaux de la CECA comme partenaires extérieurs. L’homologue allemand de Jean Monnet dans l’architecture de la CECA est Walter Hallstein (1901-1982), professeur de droit. Il sera plus tard premier président de la Commission européenne (1958-1967).
Jean Monnet n’a jamais changé de conception (vision post-nationale et mondiale) ni de méthode (avance à marche forcée, sans intérêt pour l’histoire ni les peuples, prendre le prétexte d’une politique économique et monétaire commune pour fixer ensuite une politique globale commune). Il n’est donc jamais satisfait et souhaite aller toujours plus loin. C’est pourquoi dès 1954 il souhaite unifier la défense européenne et la dissoudre dans l’OTAN, créée en 1949 : ce sera la Communauté européenne de défense (CED). Mais victime d’une attaque cérébrale et malgré l’influence de son ami John Foster Dulles, directeur du Département d’Etat américain (secrétaire d’Etat), les parlementaires français rejettent la CED. A peine remis, Monnet lancera donc l’Union de l’Europe occidentale, puis en 1955 démissionnera de la HA de la CECA (il sera remplacé par René Mayer) et lancera le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe (CAEUE) dont il confiera la rédaction des futures institutions européennes à Paul-Henri Spaak (1899-1972), plusieurs fois Premier Ministre belge, et Pierre Uri. Un an plus tôt, en 1954, un petit groupe de personnes dont Jozef Retinger, Paul van Zeeland et Paul-Henri Spaak avaient créé le Groupe Bilderberg. L’objectif était de réunir une fois par an, de manière informelle, les principaux décideurs occidentaux du monde (hommes d’Etat, journalistes, banquiers internationaux et grands industriels), de façon à ce qu’ils partagent leurs vues. Officieusement, il s’agit aujourd’hui encore de soumettre des feuilles de route et d’adouber les futurs dirigeants de la planète. Signalons que Spaak et van Zeeland avaient été les adversaires les plus acharnés du rexisme et de Léon Degrelle en Belgique dans les années 1930. Exilé aux Etats-Unis suite aux accusations (vérifiées et reconnues par le gouvernement) de Degrelle d’être un « bankster », van Zeeland se rapprochera de Roosevelt et deviendra un agent américain artisan d’un nouvel ordre mondial. Après la guerre, il travaillera notamment pour la CECA, la CED et l’OTAN.
En 1957 sont signés les deux traités de Rome, à partir du rapport Spaak : celui qui crée Euratom (dont Etienne Hirsch prendra la tête en 1959) et celui qui institue la Communauté économique européenne (CEE). Ils ont été ratifiés rapidement, John Foster Dulles ayant fait avancer les négociations en soumettant la RFA. Euratom, ou Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) coordonne les programmes de recherche sur l’énergie nucléaire des six pays membres de la CECA. La CEE permet l’union douanière entre ces six mêmes pays membres. Mais le retour au pouvoir du général De Gaulle en 1958, qui accepte d’appliquer les traités sans les dénoncer, mais sans zèle, va tempérer les ardeurs supranationales des fédéralistes. En 1960 est mise en place la première politique supranationale : la politique agricole commune (PAC). C’est aussi l’année où sera mis en place le Nouveau franc (inspiré par Jean Monnet). Pourtant, les choses ne vont pas tarder à se bloquer. En 1961, De Gaulle refuse la création d’une force militaire euro-américaine et prend l’initiative en proposant un Plan Fouchet en 1961 et 1962, que Monnet et Hallstein vont tenter de récupérer et qui, finalement trop supranational, sera abandonné en 1964. Par deux fois, en 1963 et en 1967, De Gaulle refusera l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. En 1965, la guerre est ouverte entre De Gaulle et Monnet, qui conduit à la « politique de la chaise vide ». En 1966, il retire la France de l’OTAN et arrache le compromis de Luxembourg, qui permet à un Etat membre de ne pas suivre une décision européenne si elle est réputée nuire à ses « intérêts vitaux », sans empêcher les autres Etats membres de l’adopter. La France vit ses dernières années de pleine souveraineté.
Après le départ de De Gaulle en 1969, les choses vont s’accélérer. En 1970, le rapport Werner (du nom de Pierre Werner, banquier du CAEUE en lien avec le FMI et la Banque mondiale), suite au sommet de La Haye de 1969, propose une union économique et monétaire des pays de la CEE. En 1972, le dispositif du Serpent monétaire européen limite les fluctuations des taux de change entre pays membres de la CEE. En 1973, le traité de Bruxelles acte le premier élargissement : l’Irlande, le Danemark et le Royaume-Uni entrent dans la CEE. En 1981, ce sera la Grèce et en 1985, l’Espagne et le Portugal. En 1973, c’est la création de la Commission Trilatérale, qui va tenter d’organiser un gouvernement mondial entre les principales puissances de libre-marché en Europe, en Amérique du nord et en Asie. On retrouve de nouvelles personnalités, mais les organisations dont elles proviennent sont restées les mêmes puisqu’on y retrouve notamment David Rockefeller, Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski, membres du dirigeants du CFR et du Bilderberg. En 1974, le sommet de Paris entre chefs d’Etat des pays membres de la CEE instaure le Conseil européen. En 1976 est créé le Parlement européen. En 1986 est signé l’Acte unique européen (AUE) qui approfondit le marché unique et officialise le Conseil européen. En 1990, RFA et RDA se réunifient : l’Allemagne est de retour.
En 1991 sont créés les premiers blocs continentaux de libre-échange : le SICA pour l’Amérique centrale, le MERCOSUR (aujourd’hui UNASUR) pour l’Amérique du sud, la Communauté des Etats indépendants (CEI, anciens satellites soviétiques) après la chute de l’URSS (aujourd’hui Communauté économique eurasiatique (CEEA) incluant la Russie). En 1992, c’est au tour de l’Europe et de l’Amérique du nord avec le traité de Maastricht (qui signe l’Europe politique et monétaire avec l’écu, qui deviendra l’euro, mis en circulation en 2002) et l’ALENA. Tout est en place pour les accords de Marrakech de 1994, qui fonderont l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de mettre en oeuvre le libre-échangisme mondial. Il y aura encore plusieurs élargissements : le traité de Corfou en 1995, qui fera entrer l’Autriche, la Finlande et la Suède dans la CEE, qui deviendra l’Union européenne (UE) ; puis le traité d’Athènes en 2004, qui fera entrer la Slovaquie, la Lituanie, la Tchéquie, l’Estonie, la Slovénie, la Lettonie, la Pologne, la Hongrie, Chypre et Malte ; le traité de Luxembourg en 2007, qui fera entrer la Roumanie et la Bulgarie ; et enfin le traité de Bruxelles en 2013, qui fera entrer la Croatie.
Au-delà des élargissements continus, empêchant toute identité commune et toute politique stable en Europe, d’autres traités phagocyteront la souveraineté nationale des Etats membres. En 1997, le traité d’Amsterdam institue la coopération judiciaire et soumet les pays membres à la Cour de justice de Luxembourg. En 2001, le traité de Nice modifie les institutions et remplace la prise de décision à l’unanimité par la majorité qualifiée. En 2005, la Constitution européenne est rejetée par référendum par les Français et les Néerlandais, mais le texte constitutionnel est repris dans le traité de Lisbonne de 2007, ratifié pour la France par le Congrès en 2008 et appliqué en 2009. En 2012, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) abandonne la souveraineté budgétaire, prérogative historique du parlement, à la Commission européenne. En 2016, le peuple britannique s’est prononcé en faveur du retrait de l’UE par référendum, et en 2017, le président américain Donald Trump a mis temporairement fin aux négociations sur le traité de libre-échange transatlantique. Mais pour combien de temps ? Les forces occultes décidées à établir un gouvernement mondial poursuivent leur travail d’uniformisation et de normalisation. Une chose est sûre : l’UE n’a jamais été conçue comme une puissance indépendante mais comme un marchepied du mondialisme, et elle est absolument irréformable.
Jean-Yves Dufour, 19 avril 2018
Les ouvrages de Jean-Yves Dufour sont disponibles sur son site : La France contre le Mondialisme
Quelques références bibliographiques :
– Les secrets de la Réserve Fédérale (Eustace Mullins, 1952)
– La Trilatérale et les secrets du mondialisme (Yann Moncomble, 1980)
– Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine (Carroll Quigley, 1981)
– L’irrésistible expansion du mondialisme (Yann Moncomble, 1981)
– Franklin D. Roosevelt ou comment mon beau-père a été manipulé (Curtis B. Dall, 1983)
– Lettre ouverte à ceux qui croient (encore) que l’Europe c’est la paix (Arnaud-Aaron Upinsky, 1992)
– Le complot de la Réserve Fédérale (Antony Sutton, 1995)
– L’Europe vers la guerre (Paul-Marie Coûteaux, 1997)
– Le syndrome de l’ortolan (Arnaud-Aaron Upinsky, 1997)
– La machination d’Amsterdam (Philippe de Villiers, 1998)
– Le mondialisme contre nos libertés (Pierre de Villemarest, 2001)
– La 51e étoile du drapeau américain (Philippe de Villiers, 2003)
– Faits et chroniques interdits au public, tome II : Les secrets de Bilderberg (Pierre et Danièle de Villemarest, 2004)
– La grande dissimulation (Christopher Booker & Richard North, 2005)
– La véritable histoire des Bilderbergers (Daniel Estulin, 2008)
– La décomposition des nations européennes (Pierre Hillard, 2010)
– Un européisme nazi (Julien Prévotaux, 2010)
– La France face au mondialisme (Jean-Yves Dufour, 2011)
– La Société fabienne, l’instauration d’un nouvel ordre international chez Beatrice et Sidney Webb (John Green, 2015)
– Les collabos de l’Europe nouvelle (Bernard Bruneteau, 2016)
– Cet étrange Monsieur Monnet (Bruno Riondel, 2017)