Les militants de l’armée Syrienne libres (ASL) sont exaltés, ils n’avaient plus connu de telles victoires depuis de nombreux mois voire années, totalement occultés qu’ils étaient par la multitude de groupes djihadistes qui combattent en Syrie. Grisés par leurs récentes victoires contre l’État Islamique, ils se vantent sur les réseaux sociaux de la prochaine libération d’Alep des mains des troupes gouvernementales. Une telle perspective peut pour l’instant prêter à sourire mais souligne bien le risque d’une nouvelle escalade dans le conflit Syrien, avec cette fois-ci, la Turquie en acteur direct du conflit armé qui ravage la Syrie.
Le 24 août 2016, la Turquie lance une opération terrestre surprise baptisée bouclier de l’Euphrate. Cette opération vise à sécuriser la Frontière Turque au nord de la Syrie en expulsant les troupes de l’État Islamique stationnées au nord d’Alep tout en repoussant les forces Kurdes à l’Est de L’Euphrate. Pour se faire, la Turquie s’appuie sur une forcée armée de 6000 hommes issus de l’ASL, la soi-disante opposition modérée en Syrie. Selon diverses sources, l’armée Turque n’aurait déployée que 600 hommes dans cette opération, essentiellement des unités blindées et d’artilleries, pour appuyer les troupes de l’ASL. Par contre, 20.000 soldats seraient déployés à la frontière Turque pour apporter un soutien rapide et appuyé si les combats prenaient une mauvaise tournure.
situation militaire au Nord d’Alep, le 1 septembre 2016
Les raisons de l’opération «Bouclier de l’Euphrate»:
Bien que le gouvernement Turc ait déclaré que cette opération visait l’État Islamique et les YPG (unité de protection du peuple) Kurdes, il est évident que c’est la menace des milices Kurdes à ses frontières qui a, en priorité, fait bouger Ankara. En effet, l’État Islamique contrôle la ville frontalière de Jarabalus depuis 2014. L’année 2014 correspond à une grande offensive de l’EI contre les autres groupes dits modérés dont notamment l’ASL. Depuis la Turquie n’avait jamais rien fait pour repousser l’EI loin de sa frontière avec la Syrie . Au contraire, l’EI utilisait la frontière Turque pour se ravitailler en hommes armes et équipements si bien qu’Erdogan et son gouvernement ont souvent été accusés de faire double jeu avec l’EI.
Depuis Juin 2015, date à laquelle les Kurdes ont réussi à repousser une grande offensive de l’État Islamique sur la ville frontalière de Kobané au Nord de la Syrie, on assiste à une progression constantes des forces Kurdes soutenus par les Américains, le long de la frontière Turquo-Syrienne. Le point d’Orgues de cette progression Kurde a été la prise de la Ville de Manbij, au nord-est d’Alep et à l’Ouest de l’Euphrate des mains de l’EI en août dernier. La suite de l’offensive Kurde prévoyait la prise de la ville frontière de Jarabalus, plus au Nord. C’en était trop pour le gouvernement d’Ankara qui voyait s’approcher le spectre d’une région autonome Kurde à sa frontière avec la Syrie. En effet, à l’autre bout de la province d’Alep, bien plus à l’Ouest se trouve le canton d’Efrin, canton aussi contrôlé par les Kurdes. Une probable victoire des forces Kurdes à Jarabalus suivi d’une progression vers l’Ouest aurait permis la connexion de tous les cantons kurdes le long de la frontière Turque. Connexion d’autant plus envisageable vu l’incapacité des Djihadistes de l’État Islamique à enrayer les offensives Kurdes. Erdogan n’avait donc plus le choix, pour éloigner la menace que représente les milices Kurdes, il devait intervenir.
Le retour de l’Armée Syrienne Libre :
Pour mener à bien l’opération « bouclier de l’Euphrate », la Turquie s’est appuyée sur ses alliés depuis toujours en Syrie, l’opposition dites modérée, l’armée Syrienne libre. Opposition modérée est un bien grand mot car l’ASL combat depuis plusieurs années aux côtés des groupes djihadistes notamment Ahrar al-Sham ou Jaish-Al Fateh. Ces groupes opérants en majorité dans les provinces d’Alep et d’Idlib, bien qu’étant en conflit avec l’État Islamique, n’ont rien de modérés, adeptes des décapitations, des massacres de civils et d’autres joyeusetés, ils ont le même objectif, à savoir établir un califat régit par les lois de la Charia.
(image ASL DJIHADISTES)
Le retour en force de l’ASL, supplétive des groupes djihadistes, au nord d’Alep n’est pas une bonne nouvelle. Bien qu’il n’y ait aucune preuve (pour le moment) de la présence des groupes djihadistes dans l’opération menée par la Turquie, le liens amicaux entretenus par l’ASL avec les groupes djihadistes laissent à penser que ce n’est qu’une question de temps avant que des groupes tels que Ahrar Al-Sham prennent part cette à offensive. Et c’est bien là le danger de cette opération. Officiellement, cette opération a pour objectif de repousser les Kurdes à l’est de l’Euphrate tout en sécurisant la frontière des milices de l’État Islamique. Mais l’ASL, bien que dépendante de l’aide militaire Turque, n’est pas sous commandement direct de la Turquie, son objectif et c’est celui des autres groupes djihadistes, est avant tout le renversement d’Assad. Si bien qu’après les éventuelles prises de Manbij, sous contrôle Kurde, d’Al-Bab, sous contrôle de l’EI, l’ASL se tournera vers les troupes gouvernementales stationnées dans la ville d’Alep où les combats se font de plus en plus intense pour son contrôle. La Russie, qui espère une prise totale d’Alep par les forces de Bachar Al-Assad pour avoir un poids plus importants lors des prochaines négociations internationales, ne laissera pas l’ASL menacer par l’Est les forces Syriennes.
Le gouvernement d’Ankara risque ainsi de se faire entraîner dans une escalade encore plus importante du conflit, escalade dans laquelle il risque d’y perdre beaucoup. Les forces de l’armée Turque, bien que plus puissante sur le papier que les kurdes ou l’État Islamique sont déjà affaiblis par la tentative de coup d’État de cet été puis tout le monde le sait, le conflit Syrien est un immense bourbier dans lequel n’importe quelle armée peut se noyer. L’État Islamique, bien que grandement affaibli est loin d’être vaincu et de plus ses combattants sont des fanatiques qui n’hésiteront pas à se sacrifier. Les Kurdes se battent pour leur autonomie et dispose d’un arsenal en grande partie Américain, pouvant poser des problèmes aux forces Turque.
Pour l’instant, l’opération bouclier de L’Euphrate s’est déroulée dans le bon sens pour la Turquie. Malgré quelques pertes, la frontière est sécurisée, la ville de Jarabalus a été prise aux djihadistes avant l’arrivée des forces Kurdes, ces dernières ont dû même se replier autour de Manbij. Depuis quelques jours, l’offensive semble avoir ralenti. La prise d’Al-Bab est sans doute la prochaine étape , seule incertitude, quelle va être la résistance de l’État Islamique dans cette ville ? Car depuis le début de l’offensive Turque, l’État Islamique n’a opposé que très peu de résistance, se retirant à chaque fois sans presque aucun combat. La prise d’Al-Bab ne devrait pas être aussi simple, mais le conflit Syrien est tellement fluide, que toutes les options restent envisageables.
C.T. PNF – 66