Umberto Bossi a jeté l’éponge. Après 20 ans de règne sans partage, il a abandonné la direction de la Ligue du Nord au début du mois après son implication dans le dernier scandale politico-financier qui touche une Italie décidément bien malade. De la gauche à la droite libéraliste et aux indépendantistes, tous les partis du système auront donc été mouillés dans les affaires de corruption ces 25 dernières années.
La Ligue ou l’anti-modèle
À travers toute l’Europe, la Ligue du Nord était prise comme modèle par des partis et groupuscules partageant tout ou partie de son idéologie et de ses méthodes. En France, la Lega est plus qu’un exemple pour le Bloc “identitaire” (BI), sur le site duquel les références à Umberto Bossi, à la Ligue du Nord, à sa politique et ses cadres abondent. La filiation se retrouve dans le nom donné par le BI à ses listes lors des dernières élections régionales et cantonales. En Provence-Alpes-Côte d’Azur sa liste s’intitulait « Ligue du Sud » (conjointement avec Jacques Bompard qui roule ouvertement pour Sarközy désormais), tandis qu’en Languedoc-Roussillon se présentait une « Ligue du Midi ».
L’autre poids lourd des mouvements anti-nationalistes d’extrême droite, Marine Le Pen, avait amorcé ces derniers mois un rapprochement avec la Ligue, visitant l’île de Lampedusa aux côtés de deux dirigeants de la Ligue (lors de deux voyages où les contacts ne se limitèrent pas à la Ligue, mais touchèrent l’ensemble des hommes issus des partis de la droite libérale, de Gianfranco Fini à Silvio Berlusconi). Étonnant rapprochement quand on se souvient que Bossi déclarait en 2002 :
« La Ligue n’est ni raciste et ni xénophobe. Nous sommes des démocrates. […] Nous sommes légalistes ; nous ne sommes pas comme Le Pen. […] Nous sommes à l’opposé de Le Pen. […] Le Pen veut jeter les immigrés à la mer, nous voulons une loi claire sur l’immigration. Nous, nous aidons les immigrés en règle, les immigrés qui travaillent, les immigrés honnêtes. Le Pen, c’est un fasciste. »1
Il est vrai que, depuis, le futur ex-Front national s’accommode tout autant de l’invasion migratoire. Ce n’est pas le seul lien entre les deux mouvements nationaux-sionistes : le voyage de Marine Le Pen aux États-Unis en novembre dernier, essentiellement organisé pour s’attirer les bonnes grâces de la communauté juive internationale, a été organisée par Guido Lombardi, qui a longtemps été le représentant de la Ligue du Nord en Amérique.
Loin de l’idéal nationaliste, c’est sur des revendications matérialistes qu’a été fondée la ‘‘Lega’’. Les revendications identitaires étaient dès l’origine soumises aux intérêts économiques et financiers. Pour de multiples raisons et très rapidement, les nationalistes, autant français qu’italiens, se sont montrés hostiles sinon opposés à la Ligue, et pas seulement parce que ses velléités indépendantistes coïncident avec les objectifs des mondialistes qui pensent avec Rothschild que « le verrou qui doit sauter, c’est la nation ». La Ligue du Nord a évolué d’une position autonomiste à une affirmation indépendantiste. Elle a repris à son compte le concept britannique de dévolution qu’elle échoua à faire instaurer constitutionnellement lors d’un référendum en 2006.
Et loin des discours aussi violemment anti-immigrés que mensongers, des promesses d’une Padanie libre et d’un parti politique « mains propres et tête haute », la Ligue du Nord s’est révélée être, au cours des années, un pilier du système.
Sionisme, immigrationnisme et populisme : un parti ordinaire du système
La Ligue s’est compromise et discréditée par son soutien à la politique de Silvio Berlusconi, cautionnant le comportement scandaleux de l’industriel du Nord, humiliant pour l’Italie, mais surtout sa politique qui a conduit le pays à la ruine, aujourd’hui livré aux banquiers de Wall Street et soumis à une terrible invasion migratoire. À ce sujet, il faut rappeler que la Ligue du Nord est comptable de la politique du gouvernement Berlusconi et qu’elle est coupable d’avoir lors de plusieurs vagues de régularisation, fait de plus d’un million de clandestins, essentiellement africains, des immigrés légaux.
Au palmarès de la Ligue du Nord figure encore le cas Sandy Cane, du nom du premier africain élu maire d’une ville en Italie. Sandy Cane, africaine née à Springfield (États-Unis), a été élue à Viggiù comme tête de liste de la Ligue du Nord en 20092. Elle fut si célèbre qu’elle fut interrogée par divers médiats étrangers, dans lesquels elle affirma notamment : « En Amérique, j’ai voté pour Obama. En Italie pour Bossi »3.
Acceptant les immigrés par millions, la Ligue s’est montrée ces derniers mois particulièrement intransigeante contre l’islam, au moins en parole. Une islamophobie d’autant plus marquée que la Ligue marquait son alignement sur la politique criminelle d’Israël. Ainsi en juin 2011, une délégation conduite par le ministre des Affaires étrangères de l’entité sioniste rencontrait une délégation de la Ligue. A cette occasion, le député de la Ligue Stefano Stefani, se proclamant « ultra sioniste », précisait : « Quand Israël est attaqué, notre pays est à vos côtés »4.
Les positions anti-immigrées de la Ligue, bien loin d’être fondamentales, sont accessoires. Elles relèvent d’un populisme démagogique d’autant plus choquant qu’il est suivi par des politiques opposées. Les déclarations de Bossi citées plus haut sont exemplaires ; elles montrent une Ligue préférant un Pakistanais travaillant à Milan plutôt qu’un militant nationaliste de Rome, de Sicile ou de France.
Si la Ligue du Nord est un modèle pour certains, elle n’a rien d’un nationalisme radical et éthique,, contrairement à ce que laissent croire certains de ses disciples français. Bien au contraire. Son seul but est l’indépendance du Nord de l’Italie ; au-delà de ce point, rien n’importe. Tous les courants sont présents au sein de la Ligue, depuis les cadres considérés comme sociaux-démocrates ou socialistes (Roberto Maroni, issu de l’extrême gauche, Francesco Speroni), jusqu’aux radicaux de droite, dont Mario Borghezio est à peu près le seul représentant, en passant par les centristes (Giancarlo Giorgetti, Manuela Dal Lago), les démocrates-chrétiens (Giuseppe Léoni), les libéraux (Roberto Castelli, Marco Regguzoni) ou les conservateurs (Roberto Calderoni).
Cela explique ses alliances tantôt à droite, tantôt à gauche durant les vingt dernières années. Des compromis politiciens qui ont été dès les années 1990 la cause de multiples scissions, aggravées par le caractère stalinien du règne d’Umberto Bossi.
Le « Sénateur » incarne ce populisme à l’opposé de nos valeurs. Ses sorties verbales sont toujours marquées par une extrême vulgarité, multipliant les insultes et faisant preuve d’une grande suffisance. On ne compte plus les photos le montrant effectuant des « doigts d’honneur », ou celles où il pose avec arrogance un cigare à la main. Rien d’étonnant pour un parvenu issu des rangs du Parti communiste ayant rallié la cause d’un libéralisme destructeur.
Fraudes et détournements à l’ombre de la mafia
À la surprise générale, il a présenté sa « démission irrévocable » lors d’un conseil fédéral du parti début avril. Une démission qui ressemble beaucoup à une éviction. Ses subordonnés (ses complices?) l’ont néanmoins nommé président, un poste purement honorifique selon le parti. Sa démission a coïncidé avec l’annonce d’une vaste enquête sur des détournements de fonds et du blanchiment d’argent mettant en cause la Ligue, créant immédiatement une vague de démissions puis d’exclusions.
La propre femme de Bossi a quitté le parti, ainsi que leur fils Renzo, qui a démissionné de son mandat régional ; de nombreux cadres dirigeants sont impliqués, dont Rosi Mauro, Roberto Calderoni et Francesco Speroni. Au cœur du scandale se trouve le trésorier du parti et ancien secrétaire d’État Francesco Belsito. Il n’aurait fait que reprendre les pratiques de son prédécesseur, Maurizio Balocchi (outre ses liens avec la mafia, ce dernier était impliqué dans une enquête concernant la ruine de milliers de militants et de citoyens de Padanie relativement à de mauvais investissements et à la faillite de la banque de la Ligue du Nord, le Credieuronord. L’intervention de Silvio Berlusconi aurait permis de limiter les dégâts, et la mort prématurée de Balocchi mis un terme à toutes les poursuites.)
Après les premières révélations, les démissions se sont poursuivies : David Boni, le président de la région Lombardie a démissionné, comme Monica Rizzi ; Rosi Mauro a été exclue du Sénat où elle exerçait les fonctions de vice-présidente. Elle pourrait entraîner dans sa chute le syndicat (fictif) indépendantiste de gauche qu’elle dirige, la SINPA, qui aurait servi lui aussi de couverture à des détournements. La Ligue du Nord est entièrement ébranlée : outre les instances dirigeantes, l’affaire touche de multiples directions régionales.
Des centaines d’écoutes téléphoniques et des dizaines de perquisition ont permis la mise à jour de pratiques illégales à plusieurs niveaux et à différents degrés. L’affaire à débuté à la fin de l’année 2011 à la suite de l’achat spéculatif par Belsito de plus de sept millions d’euros de diamants via la Tanzanie, Chypre et la Norvège. D’autres investissements suspects en lingots d’or ont été faits. L’enquête a montré qu’il manquait pour plusieurs centaines de milliers d’euros d’or et de diamants pour cette seule transaction. Les sommes totales des malversations pourraient être bien plus importantes : l’affaire est telle que trois parquets collaborent à l’enquête à travers l’Italie pour des faits de détournements de fonds, fraudes aggravées aux dépens de l’État, blanchiment d’argent au profit de la mafia et divers autres crimes et délits.
L’État italien – tant décrié par Bossi – versait des millions chaque année au parti séparatiste, proportionnellement à ses résultats électoraux. Les Bossi détournaient en partie l’argent pour leur propre usage. C’est ce qui intéresse le moins les enquêteurs pour qui le mauvais usage des fonds publics n’est pas une priorité face à la menace mafieuse. C’est pourtant ce qui a le plus choqué les électeurs et militants de la Ligue : la « famille régnante » a volé et utilisé pour ses propres besoins, selon les enquêteurs, 670 000 euros en frais de bouche, voyages, location de voitures de luxe, rénovation d’appartements, frais d’université, d’avocats, etc. Rosi Mauro, Piergiorgio Stiffoni et Francesco Belsito auraient dépensé pour leur propre compte pour 400 000 euros.
La justice s’intéresse surtout aux autres malversations, en particulier celles qui relient la Ligue du Nord à la mafia. C’est avec la Ndrangheta, la mafia calabraise qu’existeraient les liens les plus serrés, autour de la ’Ndrina (« famille ») de Franco Coco Trovato – qui, malgré l’emprisonnement de son chef, reste l’un des plus puissants clans mafieux en Italie du Nord –, et la famille De Stefano. Leur première source de revenus est le trafic de drogue, notamment la cocaïne, dans un pays où la jeunesse est particulièrement touchée par ce fléau. Les liens découverts lors de l’enquête confirment les accusations lancées depuis plusieurs années par Robert Saviano, l’auteur de Gomorra, concernant les relations entre des dirigeants de la Ligue et la mafia dans le Nord de l’Italie où la pieuvre a fait un retour spectaculaire ces dernières années, infiltrant les plus hauts échelons de l’administration.
Par sa démission, Umberto Bossi a admis les accusations contre lui ; ce définitivement très « identitaire » politicien a reconnu avoir également privilégié les investissements – pourtant plus que douteux – à l’étranger plutôt que dans le BTP italien, secteur trop « à risque » selon lui… Et dans le pays du scandale de la Loge P2, les médiats commencent à évoquer l’ombre d’une autre mafia : la franc-maçonnerie. Et comme une affaire n’arrive jamais seule, des révélations ont éclaté ce 24 avril concernant des pots-de-vin liés à la vente d’hélicoptères à l’Inde et impliquant la Ligue du Nord.
Ce n’est pas la première fois que le parti fait face à la justice : en novembre 1993, il avait été impliqué dans la grande opération « Mains Propres » sur le financement illégal des partis politiques. Alexandre Patelli, le trésorier de l’époque et prédécesseur de Balocchi, admit finalement des versements illégaux à la demande de Bossi. Tous deux écopèrent de 8 mois de prison qu’ils n’effectueront jamais. Par un heureux hasard, la confirmation de leur condamnation par la cour suprême intervint quelques jours après la loi du 27 mai 1998, loi qui permit à de nombreux politiciens concussionnaires condamnés à moins de trois ans de prison d’échapper à la prison.
La lutte pour la succession déjà ouverte
Cette fois, le parti devra faire face aux tensions entre les différentes sections, entre les différents clans, mais aussi entre les différentes tendances politiques et les candidats à la direction du parti. Robert Maroni, qui espère l’emporter, a lancé – sous les insultes des partisans de Bossi – une grande vague d’épuration, sans doute autant pour faire le ménage que pour se débarrasser de ses adversaires. Les révélations sur les différents crimes et délits commis au sein de la Ligue du Nord interviennent alors qu’une lutte de pouvoir secoue le parti depuis plusieurs mois entre ‘‘bossistes’’ et ‘‘maronistes’’, terme désignant les partisans de Roberto Maroni. Ancien ministre de Berlusconi dès 1994, puis de 2001 à 2006 et à nouveau de 2008 à 2011, il incarne la gauche du parti, et s’oppose également à Robert Calderoli.
La lutte était apparue au grand jour au début de l’année lors d’un vote important et révélateur. Les députés devaient se prononcer sur l’inculpation d’un député corrompu, Nicola Cosentino, du PDL, le parti de Silvio Berlusconi. Appelés à valider l’arrestation du député, objet d’une enquête pour, justement, sa collusion avec la mafia, Maroni avait déclaré que la Ligue voterait favorablement à l’inculpation. Bossi était intervenu alors pour obtenir un vote contraire. La Ligue s’était divisée et Bossi avait obtenu un vote libre. Et à dix voix, celles de la Ligue, le député compromis a pu échappé ainsi la justice5.
Pour les prochains mois, Roberto Calderoli, Roberto Maroni et Manuela Dal Lago ont obtenu la direction provisoire du parti. Si la Ligue survit à cet énorme scandale, il ne faudra rien en attendre de meilleur : Maroni est un homme du système, ministre de toujours de Berlusconi et ancré sur les positions les plus à gauche de la ‘‘Lega’’. Et si Bossi vient du Parti communiste, Maroni est issu de la même matrice marxiste, ayant appartenu au groupe marxiste Démocratie prolétarienne.
Bossi, dans sa retraite forcée, pourra compter sur le soutien de Berlusconi « Je suis toujours là, vous pouvez me demander ce que vous voulez, je suis votre ami » lui a-t-il lancé. Un étrange soutien qui relance les rumeurs sur les liens étroits qu’entretiendraient Berlusconi et Bossi à travers divers « dossiers » n’ayant peu à voir avec la politique.
Erwin Vétois
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