L’article de Philip Weiss sur la chute du président Carter dont nous donnons ici une traduction est un petit défi : dans la présentation habituelle, Carter n’avait pas besoin d’un lobby israélien pour tomber, il y avait les otages en Iran, l’invasion russe en Afghanistan et Reagan qui arrivait. De plus, on s’attendrait plutôt à ce que les Begin et Dayan soient redevables à Carter de l’accord de Camp David et non pas à ce qu’ils remontent la communauté juive en Amérique pour le faire tomber.
Mais voilà, dans son livre paru le 24 avril 2018 aux USA , “Jimmy Carter, The White House Years,” son plus proche conseiller aux affaires juives, Stuart Eizenstat, lui-même membre actif de la communauté, raconte une tout autre histoire. Et il a eu un lecteur très attentif et motivé, Philip Weiss, qui avait lui-même raconté une histoire semblable à propos de la chute de Bush en 1991, laquelle, à son tour, est pratiquement la même que celle racontée à propos du président Taft en 1911 dans « Jacob et la toute première hystérie médiatique antirusse : 1910 » : un président américain oublie ses promesses de candidats faites au lobby juif, il fait l’erreur de sous-estimer leur puissance, les lobbies juifs partent en guerre au Congrès et, lors de la campagne pour le deuxième mandat, le président mord la poussière. Même la morale est identique : l’erreur du président (Taft en 1911, Carter en 1981) est compréhensible l’épisode les concernant marquant l’arrivée en position dominante des Juifs dans la politique américaine.
Toutes ces similitudes structurelles qu’on pourrait croire sorties d’une psychanalyse des contes de fées à la Bettelheim jointes au fait qu’il n’est pas logiquement possible que les Juifs soient arrivés au pouvoir avec Carter si c’était déjà le cas avec le président Taft pourraient faire croire que ce sont des articles relevant d’un genre de fiction plus ou moins antisémite.
L’ironie, c’est qu’à chaque fois l’histoire est documentée par un membre de la communauté : Stuart Eizenstat dans le cas de Carter, nous venons de le voir, et Naomi Cohen dans le cas de Taft au travers de son livre paru en 1999 « Jacob Schiff a Study in American Jewish Leadership » dont la thèse est justement d’expliquer que la puissance de ce lobby ne date pas de l’après-Seconde Guerre mondiale mais est antérieure à la Première Guerre mondiale. Ce lobby tourne d’ailleurs à plein régime du temps de Roosevelt comme on peut le voir ici : « La Campagne du Président Roosevelt pour pousser à la guerre en Europe ». Mais Roosevelt n’a pas chuté, il était très philosémite et il a fait quatre mandats.
Alors, que les Juifs exagèrent eux-mêmes, à leurs risques et périls d’ailleurs, le poids de leur influence dans la politique américaine (ça veut dire mondiale) c’est bien possible, mais ce qui est incontestable, c’est l’existence et l’action des lobbies Juifs, et, non moins important et incontestable, le fait que ces lobbies soient soigneusement pris en considération par tous les candidats et présidents quelle que soit leur couleur politique.
En voici donc une nouvelle preuve avec tous les éléments factuels dont on peut parler librement aux USA et qu’on s’interdit d’évoquer en France et en Europe alors que nous aurions probablement les mêmes histoires à raconter. (Voir à ce sujet « La plus grande ruse de l’histoire juive »)
À ne pas manquer pour les amis du professeur Faurisson, on trouvera dans l’article un exemple direct de l’utilisation de l’holocauste dans une négociation capitale, c’est Eizenstat lui-même qui en parle à Carter, et Weiss rappelle que c’est Carter qui a lancé une commission pour créer un mémorial de l’Holocauste aux USA.
On voit aussi comment Begin essaie d’extorquer 3 milliards à Carter en plus d’une négociation déjà totalement à son avantage.
Bref, toute la phrase de soixante mots de Faurisson que les internautes pourront facilement retrouver. (Laquelle phrase est évidemment un écho à la phrase de 14 mots de David Lane)
Francis Goumain
« Jimmy Carter estime qu’il a manqué un deuxième mandat parce qu’il s’est mis les Juifs à dos en s’opposant à la colonisation. » – Eizenstat. De Philip Weiss.
Quand George H.W. Bush est mort l’année dernière, nous avons de nouveau examiné l’idée selon laquelle s’il n’a eu qu’un mandat présidentiel, c’est en partie parce qu’il a payé le prix pour avoir tenu tête en 1991 au lobby israélien au sujet des colonisations. Même Tom Friedman reconnaît que c’était la leçon de la présidence Bush qu’ont retenue Bill Clinton et George W. Bush, aucun des deux n’ayant fait grand-chose pour s’opposer aux colonisations.
Et chacun sait que la question des implantations juives a aussi empoisonné la présidence d’Obama. « Il est temps que ces implantations cessent » déclarait-il au Caire jusqu’à ce que, deux ans plus tard, il ait à faire face à sa réélection, et qu’il ne fasse machine arrière sous la pression de Netanyahu et des organisations juives en mettant son veto aux Nations unies à une résolution sur les implantations avant d’opérer, de nouveau, un virage à 180° – l’un des derniers actes de sa présidence étant de laisser passer une résolution anti-implantation en décembre 2016 (une action que Donald Trump a cherché à faire capoter en faisant appel à la Russie).
Ce qu’en revanche j’ignorais avant de lire « Jimmy Carter, les années à la Maison-Blanche », le nouveau livre de Stuart Eizenstat, son plus proche conseiller en politique intérieure, c’est que les implantations juives ont aussi empoisonné l’administration Carter. Dès le début de sa présidence, Jimmy Carter avait décidé que les colonisations étaient un obstacle à la paix puisqu’elles se faisaient sur le territoire d’un futur État palestinien qu’il voulait contribuer à établir dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. Carter et son secrétaire d’État Zbigniew Brzeziński ont à plusieurs reprises tancé le gouvernement israélien pour qu’il mette un terme à la colonisation ou pour qu’au moins il gèle les projets de nouvelles implantations.
Carter a complètement échoué dans son entreprise, dépassé qu’il était par une force qu’il avait sous-estimée : les organisations juives en Amérique. « Je me suiciderais plutôt que d’abandonner Israël » jurait-il devant les membres juifs du Congrès venu exprimer leur préoccupation face à sa politique. Mais Carter ne pouvait pas non plus renoncer à un engagement similaire sur la Palestine ; et Eisenstat soutient que pour Carter, avoir défié Israël et ses lobbies en Amérique lui a coûté son poste.
« Dès la primaire à New York [en mars 1980], Carter avait le sentiment que les Juifs de New York n’étaient pas seulement à l’origine de sa défaite dans cet État mais qu’ils ont aussi pesé dans sa défaite en novembre » écrit Eizenstat.
Comme il le précise ensuite sans ambages, Israël se sert de son lobby comme d’une sorte de ministère des affaires étrangères, « un lien unique dans les annales de la diplomatie. » L’expérience de Carter a servi de leçon à ses successeurs :
Il est devenu évident dans les décennies qui ont suivi, que tout progrès dans ces questions inextricables dans lesquelles s’était débattu Carter il y a quarante ans ne pouvaient plus être le fait que d’un président décidé à prendre d’énormes risques politiques sur le plan intérieur et déterminé à aller de l’avant. Personne ne l’a plus fait avec le même niveau de courage et de détermination, sans doute précisément en raison des blessures qui lui ont été infligés.
L’histoire de Carter s’est répétée et d’autres confrontations serrées avec le gouvernement israélien et son lobby ont eu lieu et sont relatées en détail par le juriste de Washington. Et ce juriste, Eizenstat, ne peut pas être destitué parce qu’il fait lui-même partie du lobby. Il était chargé de faire la liaison entre Hillary Clinton et la communauté juive durant la campagne de 2016. Suite à sa rencontre avec Netanyahu, d’après les mails qui ont fuité sur Wikileaks, il pressa Clinton de promettre d’accueillir Netanyahu peu après son arrivée au pouvoir pour réparer les dégâts causés par Obama. Il relaya en outre la recommandation de Netanyahu de combattre, durant la campagne, le boycott (“attaquez l’attaque d’Attack”).
Son livre est sorti en avril mais ses révélations n’ont pas attiré l’attention. Tout comme a été ignoré le thème central du livre de Ben Rhodes, « Les mémoires de la politique étrangère de la Maison-Blanche » : Obama a combattu le lobby à chaque occasion, il était à la limite d’être qualifié d’antisémite pour avoir poussé à un accord sur le nucléaire iranien [il a dû se défendre] : « Voyons… Les choses s’aggravent… ça n’a rien à voir avec l’antisémitisme… Ils veulent faire fi de l’argument majeur : c’est ça ou la guerre. »
Le mois dernier dans le New York Times, Michelle Alexander écrivait que la puissance des lobbies d’Israël était « bien documentée ». Peut-être, mais seulement dans les livres tels que ceux-là, et sur les sites contestataires. Si la presse dominante devait rendre compte du livre d’Eizenstat, elle serait forcée de reconnaître que pendant 50 ans, le lobby d’Israël a paralysé la politique américaine sur une question majeure du Moyen-Orient, la colonisation par Israël de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan, réduisant ainsi à néant la possibilité d’une solution à deux États. L’occupation est une réussite des Juifs américains.
Le mieux que je puisse faire est de citer abondamment le livre de Eizenstat.
I – La communauté juive s’alarme des premiers mois de la présidence Carter lorsqu’il parle d’une patrie Palestinienne.
Durant toute sa présidence, Carter aura eu plus de sympathie pour les Palestiniens que pour les Israéliens, et ce, pour la même raison qu’il a exprimé de la sympathie pour eux dans son fameux livre de 2006 : ce sont eux les victimes. L’outsider politique et ancien cultivateur de cacahuètes et officier de Marine semblait plus apprécier des interlocuteurs arabes comme Anouar el-Sadate que des Israéliens comme Moshe Dayan ou Menahem Begin et il était capable de commentaires bibliques sur l’assassinat du Christ qui laissaient les Juifs de marbre.
Eizenstat, un Juif pratiquant, juriste à Atlanta, s’était engagé dans la campagne de Carter et l’avait aidé à élaborer des positions sur Israël propres à lui valoir le soutien et le financement de la communauté juive. Il écrit que Carter a ensuite fait volte-face sur ses promesses. Après avoir lu un rapport de la Brooking Institution [un think-tank à Washington] sur Israël et la Palestine qui appelait à un retour d’Israël aux frontières de 1967 et à l’émancipation politique des Palestiniens, soit sous la forme d’un État, soit dans le cadre de la Jordanie, en échange pour Israël de sa reconnaissance par les pays arabes, Carter adhéra à ces vues « corps et âme » même si – explique Eisenstat – de tels plans devaient être imposés aux Israéliens et en dépit du fait que « ces positions ne pouvaient pas être plus à l’opposé de celles de sa campagne que j’avais contribué à établir pour lui en tant que candidat. »
Carter se rangea également aux vues réalistes de Brzeziński selon lesquelles le problème palestinien contrariait les États-Unis. « Dans leur ensemble les experts américains du Proche-Orient considéraient que les relations entre Israël et les Palestiniens constituaient le problème central de la région et qu’en conséquence, les normaliser pourrait solutionner la plupart des différends dans la région. »
Mais Carter sous-estima la puissance de la communauté juive. Dans les années 70, les Juifs sont parvenus à surmonter les discriminations antisémites et ont pu accéder à de hautes responsabilités dans les instances du pouvoir. De plus les guerres de 1967 et 1973 ont galvanisé les Juifs en Amérique dans leur soutien à Israël et en conséquence le lobby juif émergea comme un facteur politique important. Lorsque le président critiquait les implantations, le lobby se mettait en branle et faisait souvent écho aux arguments du gouvernement israéliens.
Eizenstat écrit que le lobby exerçait son influence principalement au travers du Congrès, et agissait comme une sorte de ministère des affaires étrangères.
[Il y a] une relation spéciale triangulaire entre Israël, les Juifs en Amérique et le Congrès…qui fait pression avec efficacité sur la présidence pour altérer la politique américaine au profit d’Israël. Ce fait est unique dans les annales de la diplomatie. Il y a d’autres pays, comme l’Angleterre, qui entretiennent une relation privilégiée avec les États-Unis mais ils exercent leur influence par le biais des canaux diplomatiques habituels plutôt que d’avoir massivement recours à leur position dans des circonscriptions électorales du pays pour faire pression sur le Congrès. Pour un petit État vulnérable entouré d’ennemis comme Israël, perfectionner ce levier de la diplomatie était vital. Même s’il existait déjà à un degré plus limité avant l’administration Carter, son usage a été porté à une échelle bien plus grande durant notre mandat aux affaires. Depuis, ce lobby n’a cessé de croître en taille et en intensité pour devenir l’un des plus efficaces de Washington.
« Carter devait l’apprendre à ses dépens », déclare Eizenstat.
Une des désillusions de la Maison-Blanche aura été l’élection en Israël d’un Premier ministre de droite en mai 1977 – Menahem Begin – ce qui devait permettre, comme le disait Brzeziński, « de mobiliser une partie significative des Juifs en Amérique en faveur d’un règlement ». Eizenstat s’empressa de détromper Brzeziński : « Les communautés juives vont se rallier aux vues de Menahem Begin pour témoigner de leur soutien indéfectible à Israël. »
Et Eizenstat avait raison
Les positions de l’administration ne tardèrent pas à unir contre elles derrière Begin les Juifs d’Amérique. »
Eizenstat explique que la Maison-Blanche n’a pas apprécié que les Juifs en Amérique en viennent à penser que la loyauté envers Israël devienne un signe de l’identité juive – et d’un pouvoir étranger.
Ce que Carter et Brzeziński ne sont pas parvenu à pleinement comprendre, c’est que le soutien à tout gouvernement israélien en place était le critère ultime de l’identité Juive pour les principaux leaders Juifs. Et cela est resté vrai même quand c’était rendu particulièrement difficile par les dirigeants Israéliens. Beaucoup de chefs de file juifs en Amérique craignaient que critiquer publiquement les dirigeants Israéliens pourrait affaiblir l’État d’Israël lui-même et endommager leurs propres liens avec la patrie juive et son gouvernement, un État symbole de leur puissance.
Mais Carter continuait de s’en tenir à son principe d’un « engagement imprescriptible en faveur d’un État palestinien. »
En juin 1977, Morris Amitay, à la tête de l’AIPAC, le plus important lobby israélien (American Israël Public Affairs Committee) a tenu une réunion avec Eizenstat, Ham Jordan, le plus haut conseiller politique de Carter et Mark Siegel l’homme de liaison de Carter avec la communauté Juive. Jordan a par la suite rédigé un long mémo sur le « lobby juif » destiné à Carter, conservant le seul et unique exemplaire soigneusement enfermé dans le coffre de son bureau.
Jordan voulait remettre le président les pieds sur terre et démontrer à son chef les effets désastreux de sa politique. Eizenstat rapporte que « Ham commença par souligner que les Juifs ont un taux de participation aux élections plus fort que n’importe quel autre groupe ; ils sont à prédominance démocrate et continuent de l’être en dépit de propositions en matière économique ou d’éducation qui normalement conduisent les autres groupes à changer de parti. Enfin dans les États clés comme New York, l’influence des Juifs dans les primaires est souvent décisive ».
Jordan poursuivit en soulignant que les Juifs étaient financièrement très généreux : « 70 des 125 membres du Conseil National Démocrate étaient juifs et ils comptaient pour 60 pour cent des grands donateurs du parti Démocrate. »
Le livre paru en 2006 « The Israël Lobby » de Stephen Walt et John Mearsheimer contient d’autres éléments d’importance tirés du memo de Jordan : plus de 60 pour cent des fonds de la campagne de Nixon en 1972 provenaient de donateurs Juifs, ainsi que plus de 75% de celle d’Humphrey en 1968 et 90 pour cent des fonds pour la campagne des primaires du néoconservateur Scoop Jackson en 1976. Et même si Carter n’était pas un favori, 35 pour cent de ses fonds pour la primaire étaient le fait de donateurs juifs.
Puis Jordan en vint à « décrire l’importance de l’AIPAC » – « un lobby aussi puissant que paranoïaque » écrit Jordan, « concentrant pour la défense des intérêts d’Israël la force politique de toutes les grandes organisations juives sur le Congrès. »
« Leur capacité de mobilisation collective est sans égale en termes de qualité et de quantité de communications politiques qu’ils peuvent générer sur des sujets clés perçus comme primordiaux pour Israël et sans qu’il se trouve un contrepoids pour s’opposer aux buts spécifiques aux lobbies juifs. Le classement par Jordan des cent membres du Sénat en fonction de leur soutien à Israël montre que seuls trois d’entre eux sont « généralement négatifs »
On notera qu’il n’y a pas un mot sur les sionistes chrétiens. Ils ne sont pas un facteur du côté des Démocrates, ils ne l’étaient pas alors, ils ne le sont pas davantage aujourd’hui.
Jordan fait aussi remarquer à Carter qu’il utilise des expressions comme « une patrie pour les Palestiniens » sans les entourer de toutes les « explications rassurantes » nécessaires.
« Les effets cumulatifs de vos déclarations sur le Proche-Orient et les différentes rencontres bilatérales avec les chefs d’État ont généralement été agréables aux Arabes et désagréables pour les Israéliens et la communauté juive en Amérique. »
Carter entendit la leçon et accepta la prescription de Jordan : communiquer avec la presse juive, avec le Congrès et avec les leaders juifs.
« Le problème, c’est que la politique ne changea pas, et qu’il n’y eut pas de réels efforts pour prendre en compte les préoccupations des Juifs en Amérique, » note Eizenstat. « J’avais l’impression que Brzeziński, Vance et, dans une certaine mesure, Carter lui-même, voyaient l’établissement de relations avec la communauté juive en Amérique comme une interférence, et estimaient que la politique étrangère en général, et le Moyen-Orient en particulier, devaient être isolés de la politique intérieure… Le manque de sensibilité politique du président était parfois à vous couper le souffle. »
Les dirigeants israéliens ont alors pris contact avec l’ensemble de la communauté Juive en Amérique. L’émissaire de Begin et ancien camarade de l’Irgoun, Shmuel Katz vint aux États-Unis et, lors d’une rencontre avec les chefs de file réformistes juifs, déclara que la pression pour l’évacuation de la bande de Gaza était une recette pour la guerre et que : « Nous savons pouvoir compter sur la communauté juive en Amérique pour qu’elle se dresse courageusement et mette son gouvernement au défi si cela s’avérait nécessaire ».
Eizenstat confirma, “qu’il pouvait y compter.”
II – Mondale essaie de mettre le holà
Même si certains dans l’administration, comme le vice-président Walter Mondale qui sentait bien les choses « essayèrent de calmer la communauté juive, il n’est pas évident que le président ait pleinement intériorisé le danger en politique intérieure, » note Eizenstat.
Mondale reçut Eizenstat à son bureau en juin 1977. À la différence de Vance, de Carter et de Brzeziński, « le vice-président pensait que la politique étrangère et la politique intérieure ne pouvaient pas être séparées parce que la première requérait le soutien de la seconde pour être efficace. » Mondale épancha sa frustration note encore Eizenstat : « Stu [diminutif de Stuart], nous serions en mauvaise posture politique s’il se mettait définitivement à dos la communauté juive qui est prête à exploser à cause des positions du président sur Israël »
Mondale avait le sentiment que Carter « n’avait pas pris en considération la communauté Juive ».
Mais Carter ne le voyait pas ainsi. Dans une préfiguration de la plainte élevée par George H.W. Bush en 1991 comme quoi il était le seul type contre 1000 lobbyistes sur les implantations, Carter « s’agaçait de ce qu’il voyait comme le lobbying irrationnel des dirigeants juifs ».
Eizenstat tenta alors d’obtenir une lettre signée des sénateurs qui soutenaient Carter. Mais la tentative avorta « après que Humphrey se retira en tant que signataire du projet de lettre ; le lobbying de l’AIPAC avait réussi. »
Jordan était pris de panique. « Nous avons monté contre nous l’opinion publique en Israël et j’ai bien peur que nous nous soyons définitivement aliéné la communauté juive en Amérique. »
Et tout ça par de simples déclarations de politique ! La crainte était que les États-Unis étaient en train d’essayer d’imposer un plan qui forcerait Israël à retourner à ses frontières de 1967 pour créer un État palestinien dans la bande de Gaza.
III – Carter prend de court Israël en annonçant une conférence de paix internationale pour donner une voix aux Palestiniens.
En juillet 1977, la Maison-Blanche accueillit une réunion importante avec les représentants juifs, environ 50 en provenance de toute la nation, une liste conduite par le rabbin Alex Shindler de la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations. Mondale, Vance et Brzeziński cherchaient à assurer aux responsables que rien ne serait imposé à Israël.
« Les responsables juifs ripostèrent en nous accusant d’être trop large dans notre définition de la paix avec les arabes… Mondale répondit avec une grande conviction que l’administration n’attendait pas d’Israël qu’elle se retire des territoires qu’elle avait conquis en 1967 sans l’assurance d’une paix réelle… Schindler n’était pas persuadé et se plaignit de ce qu’Israël avait une trop faible marge de manœuvre. »
Carter intervint durant la deuxième heure de la réunion pour « apaiser les craintes selon lesquelles il était en train de travailler contre les intérêts d’Israël. » Il affirma son intention de travailler avec Begin, de travailler à renforcer l’estime en Israël pour Begin, et promis qu’il ne dicterait pas de plan.
« Mais en des termes qu’aucun autre président n’avait employé ni avant ni après, il présenta les problèmes des Palestiniens comme « un cancer qu’il fallait guérir. Ils ont droit à une patrie et à la réparation de leurs torts » ».
Shindler était dubitatif. « Vos mots ne sont pas perçus comme vous voudriez qu’ils le soient… Nous sommes inquiets ; cela entraîne une crispation en Israël. Les responsables juifs furent suivis le même mois par Begin lui-même lors de sa première visite aux USA en tant que Premier ministre. En rencontrant Carter et d’autres officiels dans le Cabinet Room, « il s’est lancé dans un cours magistral comme jamais aucun responsable israélien n’en avait donné à un président américain. C’était une histoire détaillée de tous les griefs juifs. »
Préfigurant Netanyahu faisant la leçon à Obama 34 ans plus tard, Begin poursuivit une demi-heure durant, sortant une carte du pays pour montrer « la géographie périlleuse », évoquant les discriminations européennes à l’encontre des Juifs, la conduite des Britanniques en Palestine, les attaques arabes et la défense héroïque par les Israéliens le tout « comme s’il s’adressait à une classe d’étudiants débutants. »
Carter cita les résolutions 242 (1967) et la 338 (1973) du conseil de sécurité des Nations unies, comme base de négociation. Il les considérait comme la voie vers un foyer palestinien lié à la Jordanie « plutôt qu’à … un État indépendant » Il recherchait le retrait d’Israël de la bande de Gaza et du Golan « avec des modifications mineures » conditionnées par la sécurité et non par les implantations.
Mais Begin ne démordit pas de son refus d’évacuer la bande de Gaza. Eizenstat dit que Carter s’est montré visionnaire en « disant sans détours à Begin : « de nouvelles implantations dans la bande de Gaza seront un obstacle à la conférence de paix elle-même de même qu’elles entraveront toute nouvelle négociation dans le futur. » »
Begin cita Jabotinsky : « Nous ne pouvons empêcher les Juifs de construire sur la terre d’origine d’Israël dans la Bible. »
Carter plaida pour un gel en signe de bonne volonté. Mais Begin refusa.
La rencontre laissa Carter ennuyé et exaspéré. Il s’entretint avec Eizenstat en août 1977 et dit des Israéliens : « Ils ne veulent pas la paix. » Il affirma également qu’Israël l’avait dupé sur les relations avec l’Afrique du Sud et le programme nucléaire, une collaboration dont il avait connaissance par des « données des renseignements. » Cette alliance a depuis été amplement documentée.
Le président continua de se frictionner avec les responsables Israéliens dans les mois qui suivirent. Carter voulait donner aux Palestiniens « une voix pour leur futur. » Mais les Israéliens étaient résolument contre une telle idée. L’ambassadeur Ephraim « Eppie » Evron et le ministre des affaires étrangères Moshe Dayan rencontrèrent Carter et ne l’apprécièrent pas. Evron eut ce commentaire « sourire très artificiel ». Dayan rejeta le plan de Carter « car pouvant conduire à un État palestinien indépendant. »
Les Israéliens citèrent plusieurs engagements écrits pris par les administrations précédentes en faveur d’Israël, dont celui de Nixon à Golda Meir en 1970 selon lequel il n’y aurait pas de retrait israélien des territoires occupés sans paix complète avec les pays arables et celui de Nixon et de Gerald Ford assurant Israël qu’il y aurait des « consultation préliminaires » avant toute « décision majeure américaine ».
Puis, le 1er octobre 1977, les USA prennent de court Israël. La Maison-Blanche et l’Union Soviétique annoncent une conférence sur le Proche-Orient à Genève avec l’intention évidente d’imposer un plan de paix des superpuissances.
Certains membres de l’équipe Carter se sont rebellés. Jordan était furieux. Mark Siegel a fait une embardée sur la route en entendant la nouvelle.
« Une tempête de feu s’éleva, orchestrée par Dayan. Les chefs de file Juifs en Amérique partirent en guerre ouverte avec le président d’une manière rarement vue auparavant ou par la suite…Le casus belli n’était pas simplement l’absence de consultation préliminaire avec Israël, mais l’élévation des intérêts des Palestiniens au rang de « droits légitimes » … »
La Conférence des présidents adressa un télégramme à Vance dénonçant « un abandon des engagements historiques américains à la sécurité et à la survie d’Israël. » Tandis que l’AIPAC avertit « que les USA étaient en train de renier leurs engagements envers Israël » et organisait une campagne de lettres au Congrès.
Mark Siegel confia à Eizenstat lors d’un entretien que l’annonce « avait plongé le cours des actions Carter au sein de la communauté juive en Amérique substantiellement plus bas que celles de n’importe quel président américain depuis la création d’Israël… et j’inclus le cours des actions d’Eisenhower. » Il fit le compte à Jordan du nombre d’États que Carter avait gagnés grâce au fort soutien des Juifs et conclut : « Les discussions au sein de la communauté juive en Amérique tournent au vinaigre. Le mot de « trahison » revient de plus en plus souvent. »
Carter ne comprit pas les réactions. Il tint une réunion avec deux aides juifs, Eizenstat et le conseiller à la Maison-Blanche Bob Lipshutz, pour demander pourquoi les Juifs étaient si remontés. Eizenstat dit qu’il partageait la crainte qu’une participation des Palestiniens à la conférence « puisse être reçue comme présageant un État palestinien indépendant sur la frontière israélienne. »
Carter devait rencontrer les membres juifs du congrès le 6 octobre. Il déclara qu’il aurait dû mettre au courant le congrès à l’avance ajoutant « je me tuerais plutôt que d’abandonner Israël. »
IV – Une superpuissance taillée dans un petit État
« Ce qui se passa ensuite fut un embarrassant virage à 180° du président, » écrit Eizenstat. « Une des deux superpuissances plia sous le poids d’une pression à domicile sans précédent, faisant écho aux vues et intérêts d’un petit État qui dépendait des États-Unis pour son soutien militaire, politique et diplomatique. Ceci est révélateur de la relation particulière qui existait depuis des décennies et qui se poursuit de nos jours entre la plus puissante démocratie du monde et l’un des plus petits, même si le plus robuste, des États dépendants, et nous étions sur le point d’avoir une douloureuse démonstration de la manière dont cela fonctionnait. »
Le 4 octobre, Carter se rendit à l’hôtel Plaza des Nations unies et tomba dès l’héliport dans une embuscade en règle tendue par le membre du Congrès Ed Koch, qui devait bientôt devenir le maire de New York, et qui protestait avec véhémence contre la déclaration commune. Carter entama ensuite une nuit entière de négociation dans la suite présidentielle de l’hôtel avec Vance, Brzeziński et Dayan. Alors que le président entrait, Dayan laissa tomber : « je pense que vous avez un problème sur les bras Monsieur le président, et je peux peut-être vous aider à vous en débarrasser. » (Selon ce que confia plus tard à Eizenstat l’universitaire et conseiller politique Wiiliam Quandt.)
Carter, interloqué, demanda « Que voulez-vous dire ? »
Dayan répondit, « eh bien, on dirait qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas contentes de la déclaration du 1er octobre. Beaucoup de nos amis sont fâchés. Mais si on était disposé à faire une annonce corrigeant la déclaration originale, je pense que cela pourrait vous aider politiquement. »
Eizenstat ne tente pas de cacher l’hubris que représentaient les propos de Dayan.
C’était une ingérence incroyablement culottée dans la politique intérieure de la part d’un ministre des affaires étrangères, même d’un pays ami. Mais à l’évidence elle était rendue possible par un travail assidu de préparation avec les diverses communautés juives en Amérique et avec le Congrès et elle montrait sans doute possible à quel point la politique au Proche-Orient était étroitement liée à la politique intérieure…
On a peine à imaginer un ministre des affaires étrangères de n’importe quel autre pays être aussi direct avec son bienfaiteur et la menace hérissa le président. Il déclara que la cause d’Israël aux USA pourrait être atteinte par de telles actions, laissant Israël « isolée » et à la merci d’un « clivage » qui pourrait être grave.
Carter poursuivit en disant qu’Israël était « de loin le pays le plus entêté et difficile » de tous les pays du Proche-Orient auxquels les USA avaient affaire. Mais : « Dayan ne céda pas ».
Et tôt le matin suivant, Dayan a obtenu son résultat. Jody Powell publia une déclaration au nom de Carter et de Dayan disant que les résolutions 338 et 242 du conseil de sécurité de l’Onu restaient les bases pour la reprise de la conférence de Genève « que tous les accords et ententes » entre les USA et Israël restaient en vigueur et que les USA n’entreprendraient rien sans consulter Israël.
« Restait le fait que le président des États-Unis avait fait marche arrière sous la pression, entamant sa crédibilité tant auprès d’Israël, que des pays arabes… »
Eizenstat pense que Carter a dû « se lier les mains pour rassurer les membres juifs du congrès. » En particulier avec la phrase sur le suicide. « Néanmoins, nous savions que nous étions politiquement en grande difficulté. » Jordan était au désespoir « de voir les relations avec la communauté juive se détériorer » et Mondale fustigeait le rôle de Brzeziński.
Carter aggrava le problème en cherchant à soutenir une résolution égyptienne à l’assemblée générale de l’ONU condamnant les implantations comme étant des obstacles à la paix. Ham Jordan et Mondale étaient contre « pour des raisons de politiques intérieures. » Lors d’une rencontre avec Carter fin octobre plusieurs conseillers « ont pesé contre une condamnation publique d’Israël », proposant une abstention. Eizenstat rappela que le seul vote américain contre Israël à l’ONU remontait à Suez en 56. Mais justement, Carter voulait réitérer ce vote :
« Le président était si convaincu que les Israéliens étaient dans l’illégalité et si déterminé à montrer à l’Égypte et au monde arabe qu’il n’était pas dans la poche d’Israël qu’il était prêt à affronter la pression politique à domicile et à risquer de tendre encore les relations avec Israël. »
Ça, dit Eizenstat, c’est typique de Jimmy Carter, vouloir faire la bonne action, peu importe laquelle. Mais finalement les conseillers ont eu gain de cause. Les USA se sont abstenus.
V – Même Alan Dershowitz craint les conséquences de l’influence disproportionnée du lobby
La plus grande réalisation en matière de politique étrangère de l’administration Carter, c’est l’accord de paix entre Israël et l’Égypte signé en 1979. Tandis qu’Anouar el Sadate a lancé le processus en faisant des gestes en faveur d’Israël et l’a terminé en s’y rendant en novembre 1977, Carter insistait pour que l’autonomie des Palestiniens fasse partie de l’accord.
Boutros Boutros-Ghali le ministre d’État de Sadate remarquait, lors des rencontres initiales entre dirigeants égyptiens et israéliens, que la vision de Begin de l’autonomie palestinienne relevait « d’une sorte d’entité palestinienne amputée. » Mondale ironisait qu’on ne pourrait même pas proposer ça à Washington DC à des représentants jaloux de l’autonomie de leur propre État par rapport à l’État fédéral. Et pourtant, 40 ans plus tard, c’est bien ce dont continuent de parler les dirigeants israéliens : d’une Palestine amputée et ils sont pris au sérieux par les responsables américains.
Ce qui n’a jamais changé dans l’administration, fait observer Eizenstat, c’est « la manie de Carter à toujours définir des positions qui contrecarraient la politique israélienne. » Carter a assuré à Sadate qu’il avait agi en faveur d’un retrait « complet » d’Israël des territoires occupés « avec des arrangements mineurs » et « en faveur de l’autodétermination des Palestiniens sans aller tout à fait jusqu’à proposer une nation indépendante. »
En janvier 1978, Carter adressa à Begin un message fort critiquant l’expansion des implantations qui « sont un obstacle à la paix. » Et, plus tard cette même année, il prononça un discours devant la communauté juive pour les assurer de son engagement vis-à-vis de la sécurité d’Israël et de son « opposition à un État palestinien, » comme le note Eizenstat, le discours n’a fait que créer le trouble lorsqu’il a été question des « droits légitimes » des Palestiniens.
Sadate était désireux de parvenir à un compromis et, par-là, d’aider Carter face aux Juifs d’Amérique. Le président nota dans son journal de la Maison-Blanche que lorsqu’il rencontra Sadate à Camp David en février 1978, Sadate déclara qu’il « avait décidé d’un coup d’accéder aux demandes de tous ces israélites et de ne plus avoir le lobby juif américain (comme il l’appelait) sur le dos. »
Mais Begin ne bougea pas. Il n’avait pas à le faire ; il avait le lobby. Le compromis avec Begin, explique Eizenstat, était rendu difficile par la pression israélienne exercée par l’intermédiaire des leaders juifs en Amérique. »
L’administration envoya des messages répétés aux Israéliens pour qu’ils stoppent les implantations. L’ambassadeur d’Israël Simcha Dinitz cita Brzeziński dans un câble vers Israël : « Israël ne doit pas s’en tirer comme ça »
Eizenstat rapporte qu’il « n’y a sans doute pas eu de rencontre plus conflictuelle » entre amis que celle qui s’est tenue au Cabinet Room le 22 mars 1978 au cours de laquelle Carter, Mondale, Brzeziński, Vance et Eizenstat faisaient face à Begin, Dayan et Dinitz.
Carter déclara qu’Israël refusait d’adhérer à la résolution 242 et que les USA voulaient « que les Palestiniens aient voix au chapitre concernant leur futur politique. » Faisant explicitement écho aux trois « non » de la ligue arabe à Khartoum en 1967, Carter cita les SIX « non » tous impliquant le refus d’une autonomie palestinienne et un arrêt des implantations.
Begin répliqua, « Nous n’accepterons pas d’arrêter les implantations durant les négociations, nous avons le droit de nous installer là. »
Étonnamment, même Alan Dershowitz s’alarmait de la rigidité des Israéliens et du soutien des Juifs en Amérique. Il appela Eizenstat et le mit en garde, « Nous sommes en train de créer le mauvais leadership Juif [en Amérique], nous sommes compulsivement pour tout ce que fait le gouvernement d’Israël. »
La méfiance s’installait écrit Eizenstat :
À Carter J’expliquais que la nervosité des Juifs en Amérique à propos de notre politique au Proche-Orient avait ses racines dans le souvenir douloureux de l’inaction américaine alors que des millions de Juifs d’Europe de l’Est étaient exterminés durant la Seconde Guerre mondiale et il m’a clairement signifié qu’il comprenait.
Mais il était aussi difficile de faire entendre aux Juifs en Amérique la stratégie de Carter visant à améliorer la sécurité d’Israël en essayant de construire des ponts pour modérer les Arabes et les Palestiniens.
P.S. C’est durant sa visite à Begin que Carter annonça une commission pour la construction d’un mémorial américain de l’holocauste.
VI – Les accords de Camp David entre l’Égypte et Israël laissent de côté les Palestiniens
Parvenue à ce stade, l’administration Carter s’est encore davantage aliéné les Juifs en Amérique en ayant une bataille rangée avec l’AIPAC au sujet de la vente d’avions de combat à l’Arabie Saoudite et à l’Égypte. Siegel démissionnait sur la vente des F15 tandis que le bon flic de l’administration, Fritz Mondale, se rendait à Jérusalem fin juin 1978 en compagnie de leaders Juifs, étant aux petits soins avec eux durant le vol en leur servant du saumon fumé, des blinis et des bagels.
Comme dans un scénario qui anticiperait sur les luttes d’Obama avec la communauté juive en Amérique, le LA Times rapportait que la politique de Carter « avait un effet corrosif sur l’opinion des Juifs en Amérique… Un important businessman Juif, soutien du président, prévint la Maison-Blanche qu’à défaut de changement en mieux avant 1980, « les ressources Juives seraient utilisées pour soutenir un concurrent à la nomination présidentielle. » C’est ce qui se produisit pour Carter mais pas pour Obama.
Carter engagea un ancien président de l’AIPAC, Ed Sanders, comme conseiller pour le Proche-Orient, et, dans le même temps, se sentant personnellement tenu par une obligation morale envers Sadate, jeta tout son capital personnel et politique dans la balance pour lancer les pourparlers de Camp David. Carter craignait une nouvelle guerre et Sadate a confié à Carter qu’il pourrait faire une nouvelle guerre pour ramener les Israéliens à la table des négociations. »
Sadate était prêt faire des concessions, même sur Jérusalem, pour parvenir à un accord. Begin voulait une seule et unique ville, la capitale d’Israël. Begin a finalement autorisé les États-Unis à biaiser en disant que la position américaine sur Jérusalem restait la même que celle de l’ONU mais sans dire ouvertement quelle était cette position. Bien que les résolutions de l’ONU déclarassent que Jérusalem était un territoire occupé.
Carter s’efforça d’obtenir la promesse d’une autonomie palestinienne comprenant des passeports au nom de la Palestine et des élections au sujet du futur des Palestiniens avec la possibilité de voter pour tous les Palestiniens, ceux de la bande de Gaza comme ceux de l’étranger. Carter était encouragé par Vance, dont Eizenstat disait dans un commentaire de l’époque « Vance est très pro-Arabe. Vance est impossible sur cette question. » Mais d’autres membres de l’administration freinaient des quatre fers au sujet de l’autonomie palestinienne. « Ce serait un désastre » disait le vice-président.
Begin s’est attiré l’inimitié de Carter avec ce que le président a perçu comme de la mauvaise foi. Dans le projet d’accord, « l’autonomie » palestinienne devait se négocier sur une période de cinq ans et il devait y avoir un gel de la colonisation durant cette période. Mais Begin a au dernier moment interprété le gel comme durant seulement trois mois – le temps de la négociation avec la partie égyptienne.
L’incompréhension devait aigrir les relations entre Begin et Carter pour le reste du mandat présidentiel de Carter et, je pense, donner le ton de ses relations avec Israël pour le reste de sa vie…
« Il n’a pas tenu sa promesse, » disait Carter.
Eizenstat reconnaît que les Palestiniens « étaient les grands perdants » de l’accord. Des responsables égyptiens se rebellèrent contre les compromis de Sadate et l’un d’entre eux démissionna ; mais un ambassadeur égyptien Abdel Raouf El Reedy confia à Eizenstat lors d’un entretien en 2013 que Sadate s’est lavé les mains en disant : « Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour les Palestiniens, mais ce problème ne sera jamais solutionné. »
Dans le même temps, Israël exigeait 3,3 milliards de dollars des USA pour aider à relocaliser une base militaire dans le Sinaï. Eizenstat n’avait jamais vu Carter taper du poing sur la table comme il l’a fait ce jour-là. Il dit qu’il ne laisserait pas Israël acheter la paix » et qu’il avait l’impression qu’Israël essayait « d’extorquer l’argent » des États-Unis.
VII – Égyptiens et Israéliens signent l’accord tandis que Begin plaisante au sujet de faire sauter l’hôtel du roi David.
Carter reconnaissait que « nous n’avons fait que perdre politiquement » en nous opposant aux implantations, mais il continuait de pressurer Begin à tel point que celui-ci craignait « une totale rupture avec Washington » sur la colonisation et les Palestiniens.
Pourtant, le gouvernement israélien poursuivait l’extension des colonies sur la bande de Gaza, même durant les négociations avec l’Égypte.
« Les implantations d’Israël sur la bande de Gaza devinrent la cinquième roue du carrosse de la diplomatie au Proche-Orient. Il est possible que si Carter eût été élu pour un deuxième mandat il aurait pu réussir à résoudre la question, mais il ne l’a pas été. Ronald Reagan, lui, ne s’est pas investi dans le Proche-Orient. »
Carter s’est ensuite fendu d’un voyage en Israël en mars 1979. Lors d’une réunion dans la suite présidentielle de l’hôtel du Roi David, Begin se vantait auprès de Carter de l’avoir fait sauter en 1946. « J’ai toujours aimé l’hôtel du Roi David. Vous savez, je l’ai fait sauter un jour, en utilisant des explosifs dans des bidons de lait. » Il riait de sa plaisanterie, il conclut en souriant, « ne vous inquiétez pas je ne vais pas le refaire. »
Le traité en gestation avec l’Égypte prévoyait un accord sur l’énergie donnant à Israël l’accès au pétrole américain à prix de marché si Israël ne parvenait pas à satisfaire sa demande sur le marché international. Une promesse que les États-Unis n’avaient jamais faite auparavant à aucun pays et qu’ils n’ont pas refaite depuis. » Carter voulait l’annoncer avant les élections parce que « ses soutiens Juifs se faisaient désirer, » écrit Eizenstat.
Des manifestants au parc Lafayette scandaient PLO PLO [OLP], durant la cérémonie de la signature le 26 mars 1979.
VIII – Carter perd les élections de 1980
Ce fut la débâcle électorale pour Carter « qui ne recueillit que 40 pour cent du vote des Juifs, le plus bas pourcentage de tous les présidents démocrates de l’époque moderne. » Comment a-t-il pu en arriver là ? Carter semblait « avoir perdu le contact avec ses supporteurs juifs » et réussit à aligner une série de décisions diplomatiques bâclées au sujet des résolutions de l’ONU sur Israël qui n’ont fait qu’aggraver les choses note Eizenstat.
Il y a aussi eu la polémique mettant fin au mandat d’Andrew Young en tant qu’ambassadeur de Carter à l’ONU.
Young a été élu au Congrès en 1972. Avec l’aide d’Eizenstat, Young avait « développé une forte position sur Israël qui plaisait à l’influente communauté juive d’Atlanta. Élu, il apporta avec lui ces positions au Congrès où il aligna une série impeccable de votes en faveur d’Israël. »
Mais en tant qu’ambassadeur, Young eut à l’été 1979 une entrevue avec Zehdi Labiv Terzi le représentant de l’OLP aux Nations unies et professeur de littérature anglaise à l’université Columbia. Ce faisant, il ne respectait plus une règle officielle établie par Henry Kissinger secrétaire d’État, selon laquelle les États-Unis, en accord avec Israël, ne négocieraient jamais avec l’OLP. Carter avait renouvelé cet engagement durant sa campagne électorale pour s’attirer le vote juif, et le congrès formalisa et étendit l’interdiction diplomatique en 1976. »
Eizenstat suggère que les Israéliens ont fait fuiter l’entrevue d’Young. S’agissant de la rencontre avec Terzi explique Eizenstat « Personne ne savait mieux que Dayan comment faire monter la colère des Juifs en Amérique »
Young démissionna et fut remplacé par Donald Mc Henry. Et en mars 1980 une résolution du conseil de sécurité appelant au démantèlement des implantations put passer grâce au soutien des USA. « Vance et le président lui-même cherchaient une occasion pour envoyer un signal fort à Menahem Begin au sujet du tort que faisait l’extension de ces implantations aux négociations sur l’autonomie des Palestiniens. »
La Maison-Blanche, explique Eizenstat, pensait que toute référence à Jérusalem avait été retirée de la résolution, mais ce n’était pas le cas. La résolution UN SC 45 contenait de nombreuses références à Jérusalem et a été adoptée trois semaines avant les primaires Démocrates de New York.
L’équipe de campagne à New York était en révolte dit Mondale à Carter ; les employés étaient littéralement en train de sortir du quartier général. « [Mondale] était livide et « abattu », jugeant avec raison que cela avait relancé Ted Kennedy et que ça coûterait à Carter la primaire de New York… Mondale était comme possédé [disant] « Il y a le feu à la baraque ».
Carter a désavoué la résolution, mais Mondale s’en prit à Vance, de même que Rosalynn Carter qui déclarait que Cy Vance n’avait pas une once de sens politique parce qu’il avait certifié devant le Congrès que c’était bien la politique de l’administration.
Le mal était fait. Avant New York, le président Carter avait empoché 9 États du Midwest et du sud et seulement perdu le Massachusetts. Il avait gagné l’Illinois, emportant 70 pour cent des votes juifs Démocrates et avait une avance de 20 pour cent sur Kennedy dans les sondages. Il se disait que Kennedy pensait jeter l’éponge après la primaire de New York. « Mais dans cette primaire nous avons subi une défection massive du vote Juif. » Et Kennedy emporta New York avec 59%.
L’opposition aux implantations lors d’un vote clé à l’ONU a valu à Carter de s’aliéner l’establishment juif, dit Eizenstat. « Le grondement de colère d’Israël, de l’AIPAC et des plus importants leaders juifs avait atteint son paroxysme… Lors d’une réunion à la Maison-Blanche le 24 mars, Carter s’est plaint en disant que « la communauté Juive ne m’a jamais laissé tranquille, même alors que Begin est un extrémiste et que les autres Israéliens sont d’accord avec moi. »
Carter s’imposa à Kennedy à la convention Démocrate à New York ; mais aux élections générales Carter eut « le plus faible pourcentage de soutien de la part de la communauté juive en Amérique de tous les présidents démocrates de la période moderne » – 45 pour cent contre 70 pour cent juste quatre années plus tôt (Reagan et John Anderson se partageant le reste, 39/15)
Carter a même payé pour le traité de paix historique qu’il a négocié entre Israël et l’Égypte à Camp David. Comme l’a dit plus tard Ham Jordan, le gourou politique de Carter, le président a dû « pousser les deux côtés, et la communauté Juive n’a pas apprécié qu’il ait poussé Israël, »
Eizenstat note :
« À compter de la primaire de New York, je pense que Carter avait le sentiment que les Juifs de New York ne l’ont pas seulement défait dans la primaire mais qu’ils ont aussi été un facteur de sa défaite en novembre. Il a aussi été atteint par la farouche opposition au sujet des votes à l’ONU de la part de l’égocentrique maire juif de New York, Ed Koch, alors que pourtant il avait littéralement sauvé sa ville de la banqueroute. »
Ham Jordan pensait que l’opposition était culturelle, on se méfiait du Carter Baptist du Sud
Begin a aussi contribué à cette impopularité. « Bien qu’il lui arrivât de parler en bien de Carter, il faisait surtout des déclarations pour monter la communauté juive contre lui durant le processus de paix. Décidément, aucun bien ne reste impuni. »
La présidence Carter est légendaire à juste titre. Son dévouement en faveur de l’autonomie palestinienne a lancé le processus pour une paix à deux États même si ce processus n’a toujours pas abouti, 40 ans plus tard (70 ans si on remonte à la partition par l’ONU), entravé qu’il est par le gouvernement israélien travaillant de conserve avec les leaders sionistes en Amérique.
Les leçons de la chute de Carter sont encore valables aujourd’hui. Il était à la Maison-Blanche lors de la montée en puissance en tant que force politique aux USA du lobby d’Israël. L’ignorance délibérée de la presse de sa puissance est bien sûr une composante de son efficacité. Encore que ce dernier point pourrait enfin changer, en témoigne l’article de Michelle Alexander dans le New York Times disant qu’elle était prête à affronter les conséquences qui pourraient résulter pour sa carrière d’une critique du lobby.
Depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche, Carter porte comme une croix de n’avoir rien pu obtenir pour les Palestiniens. Mais il aura finalement réussi à s’acquitter honorablement de cette dette : ses déclarations nobles et courageuses sur la condition des Palestiniens et sur leur futur lui ont dernièrement valu son exclusion du parti Démocrate ; une exclusion qui a fait de lui un héros auprès de la base progressiste du parti et des jeunes.
Philip Weiss
Article paru en anglais sous le titre : « Jimmy Carter believed he lost a second term because he opposed settlements, alienating Jews — Eizenstat » (Traduction : Francis Goumain).