Texte publié par Jacques Ploncard d’Assac dans une série intitulée « Critique Nationaliste », diffusée dans L’Ordre français.
Certains écrivains socialistes du siècle dernier qui n’avaient pas encore subi la dictature marxiste avaient parfaitement analysé que les méfaits du capitalisme libéral venaient, dans l’ordre social, de la suppression des corporations par la Révolution française et, dans l’ordre politique, de la disparition d’un Pouvoir indépendant des forces qu’il devait contrôler.
En mars 1887, dans la Revue socialiste, M. Gustave Rouanet avait publié une étude sur « La chasse aux Financiers sous Colbert » et Drumont faisait à ce propos cette curieuse remarque :
« Tout est singulier dans le temps présent. Ce sont les socialistes qui sont obligés d’apprendre quelle était, en matière de finance, la manière d’agir de la Royauté… »
C’est une remarque qu’il ne risquerait plus de faire de nos jours où financiers et chefs socialistes font bon ménage et quelquefois ne font qu’un.
Jadis, il en allait autrement. Toutes les fois que la finance avait dépassé certaines limites, la Royauté avait selon le mot pittoresque de Drumont procédé à un « récurage général ».
Quand Colbert arriva aux affaires, aristocrates, gens du monde, écrivains, artistes « s’agenouillaient devant Fouquet comme on s’agenouille aujourd’hui devant les Rothschild ».
Colbert s’en fut trouver le Roi Louis XIV et lui montra « l’effroyable prélèvement des hommes de rapine sur les hommes de travail ».
Le 5 septembre 1691, d’Artagnan, capitaine des gardes
« touchait Fouquet à l’épaule et lui disait : “Au nom du roi, vous êtes mon prisonnier”.
Moins de deux mois plus tard, le roi crée une Chambre de Justice. L’édit qui procédait à cette création était précédé de considérants qui paraissent révolutionnaires en notre temps où la Ploutocratie a tellement assis sa puissance sur les démocraties qu’on imagine difficilement un gouvernement actuel capable de publier un décret dans le ton de l’édit de Louis XIV.
“Un petit nombre de personnes, y était-il dit, au nom du roi, profitant de la mauvaise administration de nos finances, ont, par des voies illégitimes, élevé des fortunes subites et prodigieuses, fait des acquisitions immenses et donné dans le public un exemple scandaleux par leur faste et par leur opulence, et par un luxe capable de corrompre les mœurs et toutes les maximes de l’honnêteté publique. […] Pressés par la connaissance particulière que nous avons prise des grands dommages que ces désordres ont apporté à notre État et à nos sujets, et excités d’une juste indignation contre ceux qui les ont causés, nous avons résolu tant pour satisfaire à la justice et pour marquer à nos peuples combien nous avons en horreur ceux qui ont exercé sur eux tant d’injustice et de violence, que pour en empêcher à l’avenir la continuation, de faire punir exemplairement et avec sévérité tous ceux qui se trouveront prévenus d’avoir malversé dans les finances et délinqué à l’occasion d’icelles ou d’avoir été les auteurs ou complices de la déprédation qui s’y est commise depuis plusieurs années et des crimes énormes de péculat qui ont épuisé nos finances et appauvri nos provinces” ».
Texte remarquable où ne manque ni l’autocritique sur le mauvais fonctionnement des finances dû en grande partie à la guerre qui avait obligé le Roi à se soumettre parfois aux exigences des financiers, ni surtout la manifestation éclatante de ce que peut un pouvoir indépendant.
Il nous reste à voir comment Louis XIV s’y prit pour faire rendre gorge aux ploutocrates de son temps.
On est surpris du caractère vraiment révolutionnaire des mesures édictées par Louis XIV contre les financiers qui pillaient l’État et le peuple. M. Gustave Rouanet raconte qu’il fut prescrit que les individus soupçonnés « devraient se tenir prêts à fournir sous huit jours, un état justifié de leurs biens de 1635 à 1661. Cet état devait présenter, avec la situation détaillée et justifiée pour 1635 à 1661, (…) “faute de ce faire, disait l’arrêté, ce délai passé seront tous leurs biens saisis et commis à l’exercice de leurs charges et procédé extraordinairement contre eux comme coupables de péculat” ».
Mais l’étonnement de l’historien ne s’arrête pas là.
« Pour réussir dans son œuvre de justice, rapporte Drumont, Colbert s’appuya sur le peuple et un service de rabatteurs fut organisé partout pour empêcher le gibier de s’échapper.
Un monitoire de la Chambre de Justice enjoignit aux fidèles et paroissiens de faire connaître la retraite des financiers qui se seraient enfuis, le lieu où ils auraient caché des sommes d’argent et des effets précieux. Les vicaires et les curés durent prononcer l’excommunication contre tous ceux qui, ayant connaissance de semblables délits, ne les dénonçaient pas […].
Des exemples vigoureux apprirent au pays transporté de joie qu’il y avait une justice en France. Les financiers qui étalaient le plus insolemment leur luxe la veille furent envoyés aux galères ; d’autres furent pendus haut et court comme Dumon, l’intendant qu’on pendit devant la Bastille, sous la fenêtre même de Fouquet ».
Deux ans après seulement les choses étaient si bien remises en état que Colbert diminuait les impôts, le revenu net des contributions augmentait, on remboursait 120 millions d’offices, une marine était créée et l’industrie faisait son apparition.
Drumont qui fut à l’origine du grand courant nationaliste et populaire qui surgit à la fin du XIXe siècle contre les féodalités de la haute banque et des loges, établissait dans la Fin d’un Monde, la très nécessaire distinction entre propriété et pouvoir. Lorsque la ploutocratie agiote sans cesse et ne se sert de ses millions que pour en acquérir d’autres, elle exerce un pouvoir sur l’État dont elle trouble la marche.
Une société qui accepte cette tutelle de la « fleur du mal du pire capitalisme » se corrompt très rapidement, l’esprit public s’affaiblit, l’opposition elle-même n’est plus qu’une conjuration d’envies et de convoitises.
Il semble que soit perdu le secret des gestes libérateurs. « Au fond, moralisait Drumont, cette fin d’un monde a le charme de tout ce qui finit. L’existence a beau être dure, inquiète, attristée par des hontes qui navrent le cœur du patriote, chacun goûte la joie de vivre comme on savoure la dernière lampée de liqueur restée au fond du verre, le dernier rayon du soleil automnal, la dernière chanson d’un oiseau dans le bois déjà dépouillé… ».
Pourtant il n’aurait fallu à certains moments qu’un peu de courage. On eut évité bien des hontes.
Au plus fort de la persécution anti-religieuse en France, au moment de l’expulsion des Dominicains, Paul de Cassagnac et le duc de Broglie étaient arrivés en retard au couvent de la rue du faubourg Saint-Honoré où les messieurs de la bonne société venaient réconforter les bons pères de leur présence. On avait déjà barricadé les portes afin d’obliger le commissaire de la République de faire crocheter les serrures — ce fut là toute la résistance catholique. Pour faire entrer les deux retardataires, on avait dû mettre une échelle et tandis que Cassagnac aidait le duc de Broglie à escalader :
-Ah ! monsieur le duc, dit l’écrivain à l’ancien ministre, si vous aviez eu un peu plus d’énergie au 16 mai, nous ne serions pas sur cette échelle…