Jeune nation profite de cette période estivale pour publier des textes et documents d’archives. L’article ci-dessous est l’éditorial paru dans le n° 33 de Jeune nation (juin 1998) et écrit par Yvan Benedetti.
Pour qui possède encore quelque once de conscience morale et quelque notion de la justice, le spectacle quotidien, offert notamment par la télévision, de l’interminable démembrement social et de l’affligeante déliquescence morale qui affectent notre civilisation, entraînée comme fatalement vers sa décadence, les motifs de colère et les sujets d’indignation ne manquent pas. Et quoi de plus naturel, en effet, que de réagir au mensonge, à la cupidité, à l’incompétence, à la lâcheté, au vice et à la corruption ?
Encore faut-il ne pas seulement en tirer un perpétuel esprit ronchon, frappé de défaitisme pantouflard et d’impuissance pessimiste. La réaction d’indignation ne devient, en effet, un réflexe positif que s’il se prolonge dans une volonté réfléchie d’action.
Rien n’est écrit irrémédiablement par la fatalité ; il n’est pas de « sens de l’Histoire », si ce n’est celui que la pensée et la volonté des hommes lui imposent. Lorsqu’un peuple meurt, il ne doit son échec qu’à ses propres faiblesses et à ses renoncements. Destin et volonté se confondent. Honoré de Balzac écrivait ainsi dans La Vendetta: « Les gens qui veulent fortement une chose sont presque toujours bien servis par le hasard ». Le malheur d’un temps n’est un abîme que pour les faibles. Nul ne contraindra à la servilité celui qui a suffisamment d’orgueil pour vouloir demeurer debout. Il faut vouloir agir pour plier l’Histoire aux destinées que l’on se choisit.
Cependant, l’action n’est pas l’agitation, l’énergie n’est pas la nervosité fébrile. Le seul but à viser n’est pas le plaisir ponctuel et égoïste que l’on s’accorde par tel accès de violence ou telle démonstration carnavalesque, il s’agit de conduire intelligemment et constructivement une authentique révolution, et notre révolution à nous est nationaliste. Les maux se guérissent quand on s’attaque à leurs causes profondes. La cause ici, c’est le système moral et politique en place. C’est pourquoi nous visons non pas l’ébullition épisodique mais une transformation complète. Il faut procéder à un renversement total des fausses valeurs qui prévalent aujourd’hui, en restaurant le seul équilibre adapté à la nature humaine en général et à notre civilisation en particulier. Il est désormais urgent de redonner la primauté au spirituel sur le matériel, au politique sur l’économique, à la beauté sur l’utilité, à la qualité sur la quantité, à la sélection sur l’élection, au talent sur l’argent, à l’ordre sur le changement, à la réflexion sur le réflexe, aux idées sur les individus, aux principes sur les princes, au national sur l’étranger. Cette restauration n’aura lieu qu’au prix d’un travail régulier et endurant. Il faut du temps pour réfléchir et du temps pour agir. L’impatience et l’effervescence conduisent au désordre et à l’échec. Les révolutions comme les bons fruits mûrissent patiemment sans brûler les étapes. Souvenons-nous de l’incroyable et fructueuse patience méthodique des combattants du Viêt-Minh face aux puissantes armées occidentales. Il fallut vingt ans à Mussolini pour atteindre son but, treize à Hitler et même trente-trois ans à Mao Tsé-Toung et trente ans à Lénine. La révolution spontanée n’existe pas, elle est le résultat d’un très long travail militant.
Autre enseignement, José Antonio Primo de Rivera définissait la révolution comme « l’œuvre d’une minorité inaccessible au découragement ». Peu importe notre nombre aujourd’hui : aux commencements du catholicisme, combien furent-ils à suivre le Christ ? En 1903, il n’était que dix-sept autour de Lénine et soixante-dix à Milan autour de Mussolini lors de la première réunion du Fascio. « Rien de grand n’a de grands commencements » disait Joseph de Maistre. Ce qui importe plus que le nombre, c’est la qualité des militants. Un des principes enseigné dans les écoles de guerre prussiennes, c’est qu’une chaîne n’est pas plus forte que son maillon le plus faible. Il faut favoriser la conception aristocratique contre la conception démocratique : nous préférons la compagnie de quelques lions à celle de centaines de moutons. L’efficacité en est plus grande.
Nous sommes animés par l’esprit de révolution et non de rébellion. Ils sont distincts, même si en apparence ils se trouvent confondus dans le rejet du système en place. Le rebelle se dresse contre tout ordre établi alors que le révolutionnaire vise à établir l’ordre auquel il croit. Nous agissons non par rébellion mais par fidélité. Notre engagement n’est pas fondé sur un rejet. Il s’enracine au contraire dans un amour profond et total pour notre pays, la terre de nos pères, la France riche d’une histoire et d’une civilisation plurimillénaire. Notre but est de rétablir cet « esprit d’ordre » qui selon Victor Duruy « conserve en réformant » et de créer « une France nouvelle, ardente à la pensée et à l’action, pour continuer le rôle glorieux que l’ancienne a joué dans l’œuvre de la civilisation générale ». Tel est notre credo. C’est pourquoi notre combat révolutionnaire ne peut pas se constituer une patrie de rechange, qu’elle soit régionale ou européenne. La nation est le seul cadre social possible pour nous. Jean Cau l’a dit avec ferveur : « J’ai beau sonder perspectives et horizons, je ne vois qu’une tranchée capable de nous abriter et de nous vomir vers l’assaut et le salut. Dans l’urgence de nos jours, en attendant plus vaste abri et plus vaste espérance déployée, notre tranchée s’appelle la France et notre premier bouclier et notre première épée s’appelle le nationalisme ». Pour nous, la nation est une entité intégrale et absolue. Nous ne retranchons rien de son identité et de son histoire. Bonaparte l’envisageait déjà ainsi en 1799 : « De Clovis jusqu’au comité de salut public, je me sens solidaire de tout ». De même, il faut éviter de rallumer le feu des guerres de religion en niant la place prépondérante prise par l’Église catholique dans la constitution et la pérennisation de la France. S’il n’est pas question pour un révolutionnaire de se faire missionnaire, il convient d’adopter la position de Charles Maurras sur la question, qui expliquait qu’en religion on peut être ce que l’on veut, mais qu’en matière de politique il faut être catholique, de ce catholicisme d’État adopté par Mussolini ou Napoléon.
Dans cet esprit, ce qu’il nous faut faire, donc, c’est se former et former moralement, spirituellement, intellectuellement tous ceux qui sont prêts à agir pour notre idéal, sur les bases que nous venons de définir. Rien ne sert d’élaborer des programmes s’il n’existe plus assez de Français pour faire vivre la France. Ce pays périt faute d’hommes. Le nationalisme est une école de la volonté. Car la volonté c’est la faculté de vouloir et d’agir. Sans volonté, pas d’action. Ou plus précisément pas d’action durable et continue ayant une chance d’aboutir. C’est par sa propre volonté que l’on peut surmonter tous les obstacles, vaincre toutes les vicissitudes, nombreuses dans le combat que nous avons à mener. C’est pour cela et avant toute chose, qu’il faut former et se former dans tous les domaines. Il faut aussi pratiquer le culte de l’honneur et de la fidélité en découvrant ou en redécouvrant toutes les richesses géographiques et historiques de notre pays, en fêtant les fêtes traditionnelles, en célébrant le souvenir des héros de France. Le Français, en général, n’aime plus la France parce qu’il ne la connaît plus. La doctrine nationaliste s’acquiert par le savoir, la lecture, le militantisme. La démarche est autant personnelle que collective. Cette formation à la doctrine permet ainsi d’accéder à la minorité agissante révolutionnaire.
Seule une définition pensée et méditée de la doctrine s’appuyant sur tous les travaux de nos maîtres dans le nationalisme, rend possible la coordination de l’action et l’acquisition d’une pleine conscience révolutionnaire. La doctrine est la colonne vertébrale, la pierre de touche de notre combat. La pensée et l’action se complètent: « Tant qu’une doctrine – bonne ou mauvaise – ne dispose pas d’une armée d’un certain nombre d’hommes résolus pour la défendre, la propager, l’appliquer, cette doctrine reste sans effet […]. Sans doctrine, l’homme d’action a tôt fait de sombrer dans l’opportunisme. Sans les vertus qui font l’homme d’action, le doctrinaire a tôt fait de virer au derviche sentencieux et déprimant » écrit justement Jean Ousset dans L’Action. Par une formation sérieuse et complète, on obtient une race de soldats politiques au service de la révolution nationaliste.
Ce qu’il nous faut faire ensuite, c’est sortir mentalement du système en place. L’adhésion à notre idéal révolutionnaire exige de faire table rase des habitudes et réflexes du système. Il faut se refaire une virginité en reniant ses symboles, ses signes de ralliements, ses modes de fonctionnement, de pensée, son lexique. Un révolutionnaire, par exemple, ne saurait se soumettre à la comédie de l’électoralisme. Blanche colombe invulnérable, il doit poursuivre son vol serein et régulier sans se soucier de la bave répugnante crachée par les crapauds innombrables du système marécageux qui les abrite.
Le nationaliste doit montrer la voie par son intégrité sans tache et son comportement irréprochable jusque dans les petits faits quotidiens et apparemment anodins. Jean de La Fontaine a vu juste quand il fait dire à la morale de sa fable Le Lion et le Moucheron qu’« entre vos ennemis, les plus à craindre sont souvent les plus petits ». Nos ennemis feraient bien de s’en souvenir et de ne plus nous mépriser comme le lion le moucheron, car contre la tyrannie implacable exercée par tous les moyens matériels, moraux et médiatiques, notre action patiente, souple, imaginative, adaptée, mobile, variée et tenace fera un jour de nous les lions légitimes d’un royaume juste, enfin rétabli.
Ce qu’il nous faut faire, c’est compenser cette apparente faiblesse par la mise en place de réseaux dans toutes les sphères de la société afin de constituer la flèche la plus forte et la plus puissante du faisceau qui unit les forces encore vives et conscientes de notre civilisation.