Un été du siècle dernier, l’ une des quatre filles, mariée à un Basque, du célèbre chef politique et engagé comme simple soldat dans la Croisade anticommuniste, Léon Degrelle, comme me le conta à Madrid son secrétaire Raymond Van Leeuw, le convia à les accompagner à Cadaquès. Et sur la protestation qu’il s’y ennuierait, l’encouragea a visiter à Port Llliegat l’artiste du même âge que lui, Salvador Dali (1904-1989) dont la sympathie pour José Antonio Primo de Rivera était bien connue. Catalan, Dali n’eût pas admis l’agitation sécessionniste, ce Kurdistan ibérique, plante arrosée par Georges Sorros, et fils de notaire, très précis dans le dessin, voulut pour cette haute raison léguer toute son œuvre picturale non pas aux cols révolutionnaires et affairistes locaux, qui sont de petits esprits agités dont les poches seules sont grandes, mais à Madrid, symbole d’une unité spirituelle, au Musée du Prado. Ce qui ne fut point respecté.
L’entrevue de Cadaquès lui fut l’occasion de montrer son livre manuscritement dédicacé, ainsi qu’il le conte par ailleurs dans ses Mémoires, à Adolf Hitler, paru aux éditions surréalistes en 1935: « La conquête de l’irrationnel », qu’un Lord anglais présent au Congrès de Nuremberg voulait offrir à celui qu’il savait goûter le tableau de Tristan et Isolde aujourd’hui visible au musée de Figueras et représentant les deux amants célébrés par le drame de Richard Wagner, alanguis dans une barque couverte de svastikas. Dali racheta son livre à prix d’or, dans une salle des ventes américaine au sergent texan qui l’avait emporté lors du pillage de la maison alpestre de Berchtesgaden… Il montra exceptionnellement à Léon Degrelle ce qu’en retour Adolf Hitler lui avait envoyé.
Le drame wagnérien, pour revenir à lui, de « Tristan et Isolde », n’aura pas, du reste, été indifférent à l’histoire espagnole moderne. Car il est à savoir que les porteurs allemands, commerçants au Maroc, d’une lettre de Franco au chef de l’Allemagne pour lui demander de l’aide aérienne afin de transporter des troupes sur le continent, se rendirent à Berlin auprès de Rudolf Hess qui leur indiqua la présence du destinataire au Festival de Bayreuth. Il est rapporté que Ribbentrop et Goering qui, présents, conseillaient, afin de ne pas détériorer les relations nouvelles germano-britannique améliorées, de refuser cette demande d’aide technique allemande de transport de troupes espagnoles et marocaines sur le continent, puisque, rappelons le, cette affirmée croisade espagnole antibolcheviste fut menée par la conjonction de forces chrétiennes et musulmanes, et que le Mufti du Maroc sera dans la tribune, aux côtés de Franco, pendant le défilé de la victoire.
À Bayreuth, au festival de ce génie poétique et musical que fut Richard Wagner qu’un André Gide chez nous détestait, était représenté ce jour là, sous la conduite du chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, le drame de Richard Wagner « Tristan et Isolde »: Adolf Hitler répondit aux propositions et aux objections en disant qu’il devait réfléchir et revint au théâtre, pour en ressortir, par un : « J’interviens », et d’augmenter même la liste d’avions Junkers demandés. La face de l’Espagne était changée !
Un jour, à Madrid, chez ce même Raymond Van Leeuw, assis sur un fauteuil, tenant le tableau entre les mains, Léon Degrelle redit, pour satisfaire, à ma demande, la curiosité d’un jeune étudiant en sciences politiques français, l’explication que Salvador Dali lui avait donnée de ce tableau : la côte éclairée qui est au fond représente un lieu très précis de la Catalogne apaisée, proche de Cadaquès, récemment libérée de l’emprise anarcho-soviétique, période, il faut le rappeler, au cours de laquelle, la sœur de Dali avait été torturée et violentée jusqu’à en perdre la raison, par des anarchistes venus des Pyrénées. Les gens qui vont vers la plage où tombent les hauteurs catalanes, y sont joyeux.
Nos critiques d’art de ce tableau exposé au Musée madrilène de la Reine Sophie prétendent que tout le tableau est lugubre. Non, la libération de la tyrannie y est visible. On pourrait dire à ces censeurs modernes, les deux vers d’une preste comédie de Voltaire, « Charlot ou la comtesse de Clergy », 1767 :
« Dans votre basse cour on s’obstine à le croire
Et voilà justement comme on écrit l’histoire »
Au centre est une large assiette creuse, qui est l’Allemagne, et près d’elle, la conque de Vénus, son alliée et patrie de la beauté, l’Italie. On y observe une photo d’Adolf Hitler tirée d’un journal de 1933, précisa Léon Degrelle. Les 5 haricots peints figurent le compte des années après 1933 pendant lesquelles l’Allemagne s’est nourrie, a pu remplir son assiette. Naturellement l’allusion aux accords de Munich de 1938 est visible. A droite de l’assiette est une chauve souris voletant qui pousse une charogne représentant, selon Dali, la Tchéquie pourrisseuse et derrière elle Chamberlain et son parapluie tenant une sorte de viande en réserve. La Chauve souris est le Komintern ou l’U.R.S.S. dont la Tchéquie était le cheval de Troie dans l’espace européen allemand. N’oublions pas que c’est à la demande de Monseigneur Tiso, président de la Slovaquie persécutée par l’administration tchèque, tout comme l’étaient les Allemands de Bohème ou Sudètes massacrés, que l’Allemagne établira un protectorat en Bohème. Ce clerc Tiso réfugié en Autriche après la guerre, sera livré par les Anglais aux communistes qui le pendront, le chapelet tombant des mains.
Reste le téléphone sur l’olivier coupé par volonté belliqueuse venue de l’Ouest : une partie du téléphone laisse perler une double larme, cependant que l’autre, à gauche, est en forme de mâchoire de fer. Telle était l’attitude ambiguë anglaise de geindre d’un côté et de se préparer à la guerre de l’autre, de briser l’assiette, ou de proférer des menaces. Et sur la branche est un animal bien accroché et qui menace de tomber sur l’assiette pour la priver de ses haricots, affamer l’Allemagne à nouveau.
Ainsi s’acheva l’explication. Dali avait en 1931 peint une « Énigme de Guillaume Tell ».
Nous passâmes à table, Léon Degrelle annonça qu’il voudrait se faire incinérer et que ses cendres fussent dispersées au dessus de Berchtesgaden. Elles le furent, mais dans sa ville natale de Bouillon, les cendres posées sur la cloche de l’église. Il ne voulait pas que sa tombe fût profanée et, j’entends sa voix, « que ma tête soit baladée au bout d’une pique, comme au temps de Louis XVI ». Au cours du repas, il nous dit que le ministre des Affaires étrangères de Franco en France, s’était entendu avertir au téléphone par un Père Jésuite, recteur ou préfet du collège de Namur, que s’il livrait Degrelle réfugié chez lui, il serait en état de péché mortel ! N’oublions pas qu’en un siècle, de 1841 à 1941 près d’une dizaine des oncles de Léon Degrelle avaient fait leur noviciat de Jésuite en Belgique, venus du nord de la France, de Neauphle-le-Château. Le patronyme De Grelle, était jadis un nom flamand, le De étant article, pour signifier le fluet.
Dali lui avait déclaré dans cette entrevue, qu’officier de réserve, il était parti aux USA en 1940 pour échapper à une mobilisation éventuelle, c’est-à dire, conserver sa vie dédiée à l’art. Il sera fait Grand Croix d’Isabelle la Catholique par le Caudillo d’Espagne.
Pierre Dortiguier