« les unités tranquilles de la flotte des Français dans le port d’Oran »
Est-il nécessaire de rappeler le coup de force britannique du 3 juillet 1940 , commandé par Churchill, faisant exploser le cuirassé Bretagne (997 victimes) , et tuant 1297 marins, dans le port d’Oran, dans la rade de Mers-el-Kebir, ce qui rompra les relations diplomatiques entre la France et la Grande-Bretagne, alors que la France s’était retirée du conflit par l’armistice ? L’Allemagne avait exclu la flotte française des clauses de l’accord et lui en laissait libre disposition. L’illustre philosophe et ancien combattant, Martin Heidegger (1889-1976) dans son cours contemporain sur Nietzsche, de 1940, intitulé « Le Nihilisme européen » voyait dans ce féroce comportement britannique, un échantillon de subjectivité aveugle, que nous pourrions illustrer plus amplement par les atrocités gratuites, pour une fin sadique de jouir de la souffrance d’innocents civils, entre autres, par les trois vagues de bombardement, du 13 au 15 février 1945, sur la Florence saxonne, Dresde, désarmée, suivie d’une quatrième, proprement américaine, comme en partie la troisième, le 17 février 1945, mitraillant au matin les survivants sur la rive de l’Elbe, comme nous en assura un témoin belge, Raymond Van Leeuw, plus tard secrétaire de Léon Degrelle en Espagne, venu y inspecter ses jeunes compatriotes travaillant dans l’enseignement technique.
Le droit devient une exigence imposée à autrui et non pas à soi-même
Le penseur allemand ne se contente pas de dire qu’il y a là une violence injustifiable, mais éclaire la brutalité en ajoutant que si elle est manifeste dans de tels actes, elle obéit à un besoin de conservation, à quelque menace ressentie contre son pouvoir, mais qu’en revanche, elle exige de ses adversaires ou concurrents qu’ils se conforment à une règle morale universelle, et non pas s’aventurent à la suivre sur la même voie. En somme, pareille attitude ne tient pas la justice ou le droit comme un rétablissement de l’ordre général ou sa maintenance, car elle se présente comme un fait. Il s’impose, et ne saurait être reconnu ou discuté. « Right or wrong, it’s my country ! » « Qu’il ait tord ou pas, c’est mon pays », tel est l’emblème ou adage de cette attaque dans le port d’Oran, qui heurta l’Europe et le monde honnête.
« une tactique métaphysique » (Heidegger)
Le professeur Heidegger, entend illustrer par cette référence à Mers El Kebir, le concept nietzschéen, tiré des fragments laissés par lui sur la Volonté de Puissance (der Wille zur Macht), de « la justice, fonction d’une puissance s’épanchant.au loin, laquelle voit au delà des petites perspectives du Bien et du Mal, donc a un plus large horizon de l’avantage ( einen weiteren Horizon des Vorteils) – la perspective de conserver quelque chose, qui est plus que telle ou telle personne. » (Fragments de Nietzsche, XIV 1ere moitié, n.158).
Et de commenter : « Ce « quelque chose » dont la conservation demeure exclusivement liée à la justice, est la Volonté de Puissance. Cette nouvelle justice n’a plus rien à faire avec une décision sur le droit et le non-droit d’après un véritable rapport de mesure et de rang , consistant en soi-même, mais au contraire la nouvelle justice est active et avant tout « agressive » , elle ne consiste que dans une puissance personnelle, ce qui doit s’appeler Droit et non-droit. »
« Lorsque, par exemple, les Anglais maintenant, tirent sur les unités, qui se tiennent tranquilles dans le port d’Oran, de la flotte des Français ,pour les envoyer par le fond [Wenn z B. die Engländer jetzt die im Hafen von Oran stillliegenden Flotteneinheiten der Franzosen in Grund und Boden schiessen], cela est, de leur point de vue de la puissance, pleinement « juste » (gerecht) , car « juste » signifie seulement : ce qui est utile à l’augmentation de puissance. Par là est en même temps dit que nous ne pouvons et ne devons jamais justifier (rechtfertigen) ce procédé. Toute puissance a, pensée métaphysiquement, son droit. Et ce n’est que par l’impuissance qu’elle en vient au non-droit. Il appartient cependant à la tactique métaphysique de toute substance toute puissance qu’elle ne peut voir tout procédé de la puissance adverse en quelque sorte sous la perspective propre de celle ci, mais au contraire, le procédé adverse entre sous la mesure d’une morale générale de l’humanité, mais qui a exclusivement une valeur propagandiste. » (Martin Heidegger, Nietzsche, tome second, chez l’éditeur Neske, première édition 1961, 492pp., p.198., page traduite par nous. Une traduction française par Michel Foucault existe)
De cet exemple le penseur allemand induit une conception moderne de la vérité, fort éloignée des voies tracées par l’idéalisme allemand que foulera aux pieds l’Institut de Marxisme ou Ecole de Francfort, entre autres sectes, dont en Angleterre, un certaine Société de Birmingham, installée par les vainqueurs de la première guerre mondiale et ressuscitée après 1945 : « Conforme à cette essence de la vérité comme justification, est la subjectivité de la volonté de puissance, que la justification « représente », une inconditionnée. Mais l’inconditionnalité a maintenant un autre sens que par exemple dans la Métaphysique de Hegel. »
Pareille imposition du droit à autrui et non à soi-même se lit d’un trait dans la politique anglo-américaine actuelle envers ceux qui lui font obstacle, et aujourd’hui l’Iran et la Syrie. Ce que le cours de philosophie de 1940 apporte, illustré par cet exemple de Mers El Kebir, a valeur de formule.
Dans la foulée de cet écrasement de la flotte française, retenons en effet, que Roosevelt livra, sans déclaration de guerre au Reich allemand reconstitué, mais en tirant au besoin sur ses bâtiments, une soixantaine de croiseurs et bâtiments de guerre à la Grande-Bretagne.
La conduite des Puissances marquée par la subjectivité
Dans la conduite de plus en plus notable des soi-disant Grandes Puissances victorieuses et copartageant le monde, avant et surtout après 1945, ce versement de l’impuissance momentanée ou circonstancielle dans le non droit, se retrouve dans les actes de la politique tant occidentale qu’orientale. Il permet d’expliquer ce mélange d’augmentation insensée d’armements ou, dans un autre domaine, l’accroissement des poisons pour soumettre les populations de tous niveaux à une consommation utile à la « puissance » productrice. Le critère de la vérité est celui de l’utilité.
Il est superflu d’énumérer tant dans l’histoire enseignée par les vainqueurs qu’en puisant dans nos souvenirs, ce type de conduite qui place sur la scène « monde » tel ou tel pays devant « un fait accompli ».
C’est ce même fait accompli, est-il besoin de le souligner que nous constatons dans les conduites anglo-américaines contemporaines contre les personnes ou les États qui leur font obstacle. Tel est ainsi cette « nouvelle justice » dont traite plus haut Heidegger et qui est désigner comme la justice des vainqueurs !
Nous n en citerons que deux, qui furent formellement aux origines de la double guerre mondiale : l’attentat de Sarajevo, dont le jour anniversaire (28 Juin) en 1919, coïncida intentionnellement avec la signature du Traité de Versailles, s’est produit alors que débutait, ce qui fut noté par le journaliste Pozzi, dans son lire sur les télégrammes serbes, la lente mobilisation militaire russe, – que la presse française exaltant ceux qui l’entretenaient, qualifiait de rouleau compresseur censé devoir écraser le Reich des deux Empereurs en quelques semaines, et qui fut arrêté par la stratégie du Maréchal Hindenburg à la bataille de Tannenberg en 1914 -, mais ce fut la déclaration de guerre par l’Autriche-Hongrie à la Serbie protectrice des terroristes, et elle même conservée, comme un nid de frelons, par la city de Londres et sa succursale de Moscou, qui fut appréciée comme un arbitraire intolérable, car la liberté d’agir d’un côté se heurtait à la conservation de l’ordre international, de l’autre.
Le second fait est, en pleine paix, en 1939, le massacre par milliers de la population civile allemande « polonaise » par des bandes révolutionnaires organisées, qu’on aimerait identifier, à quoi s’ajouta la mise en scène, car il n’y a pas d’autre mot, de l’attaque du poste frontière allemand par des gens vêtus en uniforme de l’armée polonaise, dont on a prétendu, comme il se lit encore, qu’ils étaient Allemands déguisés, mais qui ne furent jamais inquiétés par les « Alliés » après guerre. A qui profite le crime ?
Une piraterie qui écume nos rivages
Mers El Kebir a été une violence pure, mais, faut-il l’apercevoir, inscrite dans un ordre métaphysique de considérer que la puissance est tout, et ce qui n’est point elle, est rien (nihil). C’est cette perspective qui a forgé le terme de Nihilisme, au début du XIXe siècle et produit celui de nihilisme européen, examiné par Nietzsche, qui donne son titre et son sens, ou son fil conducteur, au cours d’Heidegger. À savoir ce Nihilisme étendu sur l’Europe, comme partout dira-t-on, oui, en effet, mais que la pensée européenne a réussi à exprimer, ce qui lui a valu, en retour, ces ravages de deux conflits destinés, comme il apparaît nettement aujourd’hui, à en déraciner non pas la « culture », car l’on peut maintenir des apparence ou user de travestissements comme on drogue un malade, mais « l’être » : ce Nihilisme peut être tenu pour le drapeau noir d’une piraterie qui écume depuis longtemps nos rivages.
Il demeure que de toutes les oraisons funèbres, l’insertion du sacrifice des marins français dans ce cours portant sur la détermination essentielle de l’homme et l’essence de la vérité, renforce l’amitié et la nécessaire coopération franco-allemande et doit être présenté à notre jeunesse, comme ses héros de l’antiquité qui passent à travers les pages du temps
Pierre Dortiguier