Une intéressante exposition à voir à la Cité de l’Architecture
La Cité de l’Architecture propose actuellement une intéressante exposition consacrée au grand architecte autrichien Otto Wagner (1841-1918). Sa vie, et surtout son œuvre, sont présentées avec soin. Cheminer dans l’exposition, c’est retrouver un monde européen disparu. La Vienne des années 1860 à 1918 a été la capitale d’un Etat européen majeur, l’Autriche, puis Autriche-Hongrie (après 1867), et a connu à ce titre une croissance urbaine exactement contemporaine et comparable à Paris sur ces années. Réduite au statut de capitale hypertrophiée de la petite Autriche de 1919 –soit les frontières actuelles, rétablies en 1945-, Vienne a de ce fait assez largement préservé son patrimoine unique de la deuxième moitié du XIXe siècle.
L’activité de construction a donc été intense dans la Vienne des années 1860 à 1910. L’exposition montre de nombreuses études de planification urbaine, avec voirie, voies de chemin de fer, réseaux d’égouts et canaux, proposées en leur temps par Otto Wagner. L’architecte reste à juste titre associé au métro de Vienne, une de ses œuvres principales, avec un dessin des stations particulièrement soigné. Le style 1900 viennois est plus beau que le français. S’il cède aussi parfois à la manie des courbes incongrues –comme pour les bouches de métro justement-, il sait se montrer beaucoup plus droit sans ses formes générales, et fidèles à des millénaires d’héritage classique. La Sécession, célèbre mouvement artistique contestataire pluridisciplinaire auquel a participé Otto Wagner, a proposé fondamentalement à cette époque une façon différente de comprendre l’héritage gréco-romain, s’opposant à l’académisme néobaroque certes, mais n’a pas sombré pour autant dans le n’importe quoi ou la froideur absolue et vide de certains « modernes » (comme typiquement, une génération plus tard, Le Corbusier).
LA DEMARCHE ARTISTIQUE D’OTTO WAGNER
Le propos de l’exposition, comme il est d’usage de nos jours pour célébrer l’œuvre d’un architecte, tient à saluer son aspect supposé novateur, du moins pour son temps, avec certes quelques nuances plus que bienvenues. En fait, selon, nous, Otto Wagner a été plutôt l’exact reflet des idées dominantes de son temps, du néobaroque viennois des années 1860-1880 à celles dites de l’Art Nouveau des années 1890-1900, puis du style 1910, qui annonce l’Art Décoratif, même s’il est d’usage de ne le dater que des années 1920 –la construction a été suspendue pour des raisons évidentes, la guerre mondiale mobilisant tout l’effort économique, de 1914 à 1919-.
Les projets ou réalisations d’Otto Wagner, de façon générale, illustre le grand talent de l’architecte. Sa démarche consiste en reprendre le meilleur des traditions esthétiques et décoratives européennes, c’est-à-dire fondamentalement à l’art antique gréco-romain, et en l’adaptant aux contraintes fonctionnelles. Son génie s’est adapté à tout, aux immeubles d’habitation, aux villas, aux églises, aux banques, aux gares, aux hôpitaux…Les hôpitaux, pensés bien sûr autour du soin des malades et du travail des médecins et infirmiers, possédaient aussi une dimension esthétique indiscutable. On ne peut que comparer avec les horreurs systématiques construites après 1945, et constater, en dépit du progrès technique, le naufrage d’une civilisation à travers cette disparition de tout sens du beau.
Sa plus belle réalisation selon nous reste l’église Saint Léopold, église d’une fondation hospitalière, bien présentée dans l’exposition par des plans précis, une maquette, et des éléments de décoration. L’influence de l’architecture romaine antique, byzantine, et des traditions liturgiques latines, est des plus nets. Pourtant, il ne s’agit pas d’un pastiche plus ou moins inspiré, comme tant de réalisations après 1840, mais d’un vrai style propre, et unique.
OTTO WAGNER DE LA MATURITE
Avant 1900, Otto Wagner, malgré un talent théorique reconnu, a reçu peu de commandes officielles, et toutes mineures, du fait d’un statut matrimonial à l’époque considéré comme scandaleux –divorcé-remarié-. Après 1900, il a été associé aux projets de la municipalité du maire charismatique Karl Lueger (1897-1910), chef des fils des chrétiens-sociaux, et ses successeurs. Karl Lueger est surtout connu aujourd’hui pour avoir enseigné l’antisémitisme à un auditeur alors parfaitement anonyme, l’artiste-peintre Adolf Hitler. La pensée politique chrétienne-sociale de 1900 est en soi intéressante, en cherchant à associer préservation des valeurs chrétiennes et progrès social, ce dernier devant être favorisé par les pouvoirs publics, en particulier par la construction de logements sociaux, d’hôpitaux, de maisons de retraite, de jardins d’enfants.
Il se dégage dans les derniers projets d’Otto Wagner une vraie maturité artistique. Son projet le plus intéressant à cette époque est celui du XXIIème arrondissement de Vienne, jamais réalisé (équivalent, pour l’époque, au XXIe arrondissement parisien), qui allie monumentalité, rigueur géométrique, fonctionnalité, sans oublier un minimum d’éléments décoratifs qui humanisent l’ensemble. Il semble annoncer le Berlin-Germania d’Albert Speer.
Otto Wagner est un architecte majeur de l’Histoire européenne, bien au-delà du folklore touristique viennois 1900 auquel on le réduit parfois, et il faut le redécouvrir.
Scipion de SALM
Jusqu’au 16 mars 2020 : Cité de l’Architecture et du Patrimoine
Adresse : 1, place du Trocadéro et du 11 Novembre, 75116 Paris
Horaires : Collections permanentes, expositions temporaires et bibliothèque, tous les jours, sauf le mardi, de 11h à 19h (fermeture des caisses à 18h20). Nocturne le jeudi jusqu’à 21h (fermeture des caisses à 20h20).