Ce texte est extrait d’une brochure publiée à la fin du XXe siècle par Henry Coston, Le Fric est à gauche, détaillant l’alliance du grand capital et de la gauche et l’extrême gauche. Dans le chapitre ci-dessous, l’auteur évoque le cas du journal socialiste puis communiste L’Humanité dont la création ne fut possible que par l’apport financier des Rothschild et de la haute bourgeoisie étrangère juive en guise de reconnaissance à l’extrême gauche d’avoir soutenu le traître Dreyfus.
La collusion de la gauche et des oligarchies capitalistes date, nous l’avons dit, de ces trente dernières années. Mais il y eut, dans le passé, des tractations entre le gros argent et le mouvement révolutionnaire.
Elles ont été rares et, le plus souvent, guidées par des mobiles tout autres que les intérêts des travailleurs. Par exemple, lorsque La Guerre Sociale, le journal de Gustave Hervé et d’Almereyda, révéla, en 1910, que les bailleurs de fonds de L’Humanité appartenaient, pour la plupart, à la bourgeoisie capitaliste.
Rappelons succinctement les faits :
En 1904, il existait plusieurs journaux socialistes, comme le quotidien La Petite République, dont Alexandre Millerand, futur président de la République, alors l’un des chefs socialistes, était l’animateur (y collaboraient notamment Jaurès, Viviani, Jules Guesde, Édouard Vaillant, Alexandre Zévaès).
Mais Jaurès voulait son journal, un journal pour le Parti socialiste, lequel faisait alors son unité. Les militants ouvriers n’avaient pas les fonds nécessaires pour la réalisation de ce projet. Les chefs socialistes de la tendance jauressiste firent donc appel à des personnages qui, à vrai dire, se souciaient infiniment plus de leurs affaires que de l’avenir des masses laborieuses.
Henry Coston note dans son Dictionnaire de la Politique française (tome I) que Jaurès et ses amis avaient rendu service aux amis du capitaine Dreyfus ; à leur tour, les dreyfusistes fortunés lui rendirent service. Emile Cahen l’expliquait en ces termes dans Les Archives israélites (11 octobre 1906, page 324) :
« Les grands services rendus à la cause de la justice et de la vérité [sic ; allusion à l’affaire Dreyfus – NDLR] par M. Jaurès lui ont créé des titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l’avaient, il faut bien le dire, aidé à fonder son journal. »
Le journal de Gustave Hervé, La Guerre Sociale, hebdomadaire de la fraction la plus révolutionnaire du Parti socialiste SFIO, révéla, dans son numéro du 16 novembre 1910, que le futur organe central du PCF avait été fondé grâce aux subsides de riches banquiers. Aucun démenti ne vint infirmer ces révélations qui firent grand bruit, à l’époque, dans les milieux socialistes, et pour cause.
Il est démontré aujourd’hui que si la moitié des actions de la Société du journal L’Humanité, créée en 1904, fut bien remise Jaurès à titre d’apport, les 400 000 francs réellement versés l’ont été par des personnages qui, à deux ou trois exceptions près, n’avaient rien de commun avec la classe ouvrière. Voici, en effet, la liste des premiers souscripteurs :
Lévy Bruhl : 1 000 actions ; Picard, dit Le Pic : 1 000 actions ; Jaurès et quelques amis : 204 actions ; Javal : 200 actions ; Rouff : 180 actions ; Salomon Reinach : 120 actions ; Casewitz: 20 actions ; G. Rouanet : 20 actions ; André : 20 actions ; Baudeau : 20 actions ; Landrieu : 20 actions ; Mauss : 20 actions ; Lévy-Brahms : 20 actions.
Quelque temps après, le banquier Louis-Dreyfus apportait, à son tour, 20 000 francs1.
La première Humanité, grevée dès l’origine de charges excessives, fut bientôt à bout de souffle. Jaurès lança un appel le 5 octobre 1906 : il reçut 1 000 francs des socialistes tchèques et 25 000 francs du parti frère d’Allemagne. C’est le socialiste allemand A. Bebel qui, le 12 octobre 1906, annonça l’envoi de ces 25 000 francs-or à Jaurès. Louis Dubreuil, Bracke et Pierre Renaudel acceptèrent, au nom du parti, par lettre du 17 octobre 1906 (cf. L’Humanité, 18 octobre 1906).
Ces versements étaient bien insuffisants. La création d’une nouvelle société chargée d’éditer le quotidien socialiste fut décidée. Ce fut la Société Nouvelle du journal L’Humanité, au capital de 125 000 francs.
Aux anciens actionnaires Lévy-Bruhl (123 actions), Picard (123), Louis Louis-Dreyfus (31) et Charles Louis-Dreyfus (31) s’ajoutèrent de nouveaux souscripteurs :
J. Clément: 10 000 francs ; Hoyer: 1250 francs; Vaillant: 1 000 francs ; Poisson : 1000 francs ; Léon Blum : 1 000 francs ; diverses organisations ouvrières : 5 875 francs ; Achille Rosnoblet : 28 000 francs ; Mme Hélène Rosnoblet : 25 000 francs. Les deux derniers souscripteurs fournissaient donc à eux seuls les 2/5 du capital. On devait apprendre par la suite que les Rosnoblet n’étaient que les prête-noms des Rothschild.
À la suite des révélations de La Guerre Sociale, Francis Delaisi, l’auteur de celles-ci, avait été invité par Pierre Renaudel, administrateur de L’Humanité, à venir examiner les comptes du journal.
II donna à ses lecteurs le résultat de ses investigations. Parlant des actionnaires de la première société, donc des cofondateurs de L’Humanité, il écrivait :
« Les trois quarts des actions sont souscrites par trois personnes, dont les noms doivent être retenus. L’une est M. Salomon Reinach, le frère de Joseph Reinach, que les Rothschild donnèrent comme secrétaire à Gambetta. L’autre, M. Lévy-Bruhl, philosophe éminent, est professeur à la Sorbonne, où il gagne environ 10 000 francs par an. On s’étonnerait qu’il plaçât 120 000 francs à fonds perdu dans un journal socialiste, s’il ne passait pour être le dispensateur des libéralités des Rothschild parmi les jeunes revues qui naissent et meurent comme les feuilles dans les environs de l’Odéon. Quant au troisième, Picard, dit Le Pic, publiciste et polémiste de talent, il venait de tuer sous lui le journal Les Droits de l’Homme, et s’il avait eu 125 000 francs à lui, peut-être les eût-il employés à défendre de la mort son propre journal. »
(La Guerre Sociale, 16 et 22 novembre 1906).
Le Matin devait, trente ans après la fondation de L’Humanité, publier un document qui prouvait que la Compagnie des agents de change de Paris avait également fourni une grosse somme : 300 000 francs-or. En voici le texte :
« Durant les années 1902 et 1903, la presse socialiste, notamment le journal La Petite République, faisait une campagne ardente contre les agents de change. Cette campagne avait pour objet de faire supprimer leurs privilèges. Un groupe de militants et de journalistes socialistes, dont faisaient partie notamment Jaurès, Albert Thomas et Viviani. décida de quitter La Petite République à la suite de la campagne des cent mille paletots et de fonder un journal qui serait l’organe du parti. Pour cela, il fallait de l’argent, et c’est ainsi que ce groupe eut l’idée de cesser la campagne contre les agents de change et de faire appel à leur concours. Ceux-ci remirent une somme d’environ 300 000 francs. Cette somme fut encaissée par M. Picard, chez M. Perquel, agent de change, place de la Bourse, et servit à MM. Léon Picard, Lévy-Bruhl, Dr Lévy-Brahms, Rouff, à souscrire à la nouvelle société constituée pour éditer L’Humanité. C’est ainsi que ce journal vit le jour, grâce au concours financier de la Compagnie des agents de change. Le bulletin financier de L’Humanité fut confié à M. Léon Picard, l’un des souscripteurs, avec l’accord de Jaurès. Ce bulletin parut pendant plus d’une année et recrutait de la publicité financière, M. Picard touchant 25 % sur les encaissements de cette publicité. »
(Le Matin, 3, 6, et 12 octobre 1934).
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1 En reconnaissance, la SFIO fit élire le banquier Louis Louis-Dreyfus député radical de la Lozère, en 1905.