(Article publié dans Le Fait, le 19 octobre 1940.)
Il y a deux mots en ce moment qui vont bien ensemble : travail et révolution. C’est la même chose. Continuez et achevez, mes gaillards, la révolution de Vichy pour pouvoir mieux travailler, tirer le meilleur profit de votre travail ; et si vous travaillez bien du haut en bas la révolution avancera, poussée par ce souffle d’ahan.
Rien ne résiste au travail des hommes. Et il est toujours du travail pour les hommes. Un peuple qui ne voit pas de travail devant lui est moins pardonnable qu’un individu soi-disant incapable de se tirer d’affaire. Il y a toujours de quoi suer. Seulement il faut de la vivacité et de la souplesse dans l’orientation et dans la distribution de l’effort. Depuis longtemps, nous pouvons voir que notre époque exige de prompts déplacements de la besogne, de brusques désaffections, d’actives rééducations. Chômage ? Faute de savoir changer sa main et son outil.
Chose difficile de changer sa main, mais chose possible. Du moins pour les jeunes. S’il n’y a pas beaucoup de perspectives aujourd’hui dans le textile et la métallurgie, il y en a dans l’équipement du pays. Et c’est le moment ou jamais de supprimer les taudis, de donner aux paysans et aux ouvriers des maisons convenables. La façon dont la démocratie logeait le peuple était ignoble.
Cela sera autant de fait pour la reprise future et il n’y aura pas de reprise si cela n’est pas fait. Car une des raisons de l’infériorité de l’industrie française depuis des années, c’est le décor désespérant où elle tournait. On ne peut pas attendre une claire et large conception des choses de la part d’ingénieurs qui habitent dans de mesquines boîtes à loyers, d’ouvriers qui nichent dans des placards sales – les uns et les autres se retrouvant dans des usines tristes.
Le Français mange bien, mais se loge comme un cochon.
Ne me dites pas qu’un peuple ne peut pas changer. Au début du siècle dernier, les Allemands avaient la réputation d’être des rêveurs absolument impratiques, capables seulement de philosophie et de musique. Brusquement, ils se sont intéressés à l’industrie, au commerce, aux voyages. Aujourd’hui, par des chemins inattendus, ils reviennent à leur faculté de rêverie, de philosophie et de musique : il y a de tout cela dans la construction d’Hitler. Si nous ne le voyons pas pour le moment, c’est que nous avons préféré nous battre avec lui que d’examiner en temps utile ses plans qui valaient bien ceux de la SDN, étant plus pratiques et plus expédients.
Son hégémonie sur l’Europe vaudra peut-être bien celle de l’Angleterre. Il est inouï de penser que nous avons vécu tranquillement depuis un siècle et plus sous l’hégémonie anglaise et que nous ne pouvons plus tout d’un coup nous accommoder d’aucune hégémonie sur l’Europe. Pourtant, aujourd’hui, il s’agit de celle d’un peuple qui a au moins l’avantage d’appartenir exclusivement au continent et de ne pouvoir s’occuper que de son progrès – au lieu de se soucier avant tout de ce qui se passe en Australie ou en Birmanie.
Les gens qui trouvaient très supportable l’hégémonie anglaise avaient oublié un peu vite que cette hégémonie s’était aussi établie à coups de canon. Les Anglais ont écrasé notre marine plusieurs fois avant de nous regarder de haut en bas et de nous imposer leurs marchandises sous prétexte de liberté commerciale. Et ils ne nous ont jamais épargné les humiliations d’aucune sorte. On ne se rappelle plus l’affaire Pritchard aujourd’hui, mais en 1840 toute la France voulait faire la guerre à l’Angleterre plutôt que de payer une indemnité à ce missionnaire intrigant qui avait essayé de faire de la charmante reine de Tahiti, Pomaré, une ennemie pour nous – en conséquence de quoi nos marins l’avaient un peu houspillé.
Et Fachoda n’est pas bien loin, ni les intrigues de l’Intelligence Service auprès d’Abd-el-Krim ou en Syrie.
Si nous ne nous étions pas abandonnés aux relâchements de la démocratie et aux mensonges endormeurs de notre grande presse de millionnaires démagogues, pour éviter les charges de l’hégémonie anglaise, il suffisait d’être un peu ingénieux et moins épatés ; si nos politiciens n’avaient pas eu des âmes de valets snobs devant les gentlemen de la City, ils auraient connu les moyens de réellement faire respecter ce caractère par les Anglais au lieu de leur offrir notre armée, une fois de plus.
Et nous aurions aussi pu éviter l’affirmation militaire de l’hégémonie allemande. Il suffisait à temps de comprendre que notre entente avec l’Allemagne, notre alliance avec l’Allemagne, était plus constructive pour l’Europe que ce routinier ménage avec un peuple insulaire, maritime, excentrique, extra-européen. Jusqu’en 1930, nous pouvions nous installer sur un solide pied d’harmonie honorable.
Cela est encore possible, car si les Français sont beaucoup moins nombreux et industrieux que les Allemands – comme ils étaient beaucoup moins puissants par leur Empire que les Anglais par le leur –, il n’en est pas moins vrai qu’il y a toujours un génie français plein de ressources, d’imprévisibles rebondissements.
Il y a la vie et la continuelle merveille de sa recréation, de sa métamorphose dans l’inattendu et le surprenant. Ah ! Français, n’avez-vous pas le goût de vous perdre, de vous oublier, de cesser d’être ce que vous êtes depuis si longtemps, et de frapper en vous la source qui est dans chaque peuple, la source de tous les miracles, la source de la vie ? N’avez-vous pas envie de changer, d’être quelque chose de neuf, de découvrir dans votre âme et votre paysage quelque chose qui est latent, possible et qui est encore inconnu ?
L’inconnu,cela ne vous tente donc pas? Vous avez pourtant fourni assez de voyageurs, d’explorateurs, de pionniers. Il est temps de repartir à la découverte de vous-mêmes.
N’écoutez plus la voix ennuyeuse et morne des prophètes du passé, des perfides calomniateurs de l’avenir. Hier, ils vous chuchotaient : « La France est radicale, elle ne peut être que radicale ». Or, aujourd’hui, je vous le demande, qui se rappelle encore des radicaux ?
Assez de vieilleries, de refrains fatigués, de sauces sophistiquées.
Travaillons à notre révolution, redevenons un peuple curieux, aventureux, qui s’avance vers l’imprévu – redevenons un peuple gai. Oui, voilà ce que j’ose dire : redevenons un peuple gai. (N’avez-vous pas remarqué que nous n’étions plus gais du tout depuis quelques années, sans doute depuis les inutiles 1 700 000 morts ?)
C’est le moment d’être gais, quand nous avons un véritable et atroce chagrin. Songez que Jeanne d’Arc était gaie ; or songez à ce qu’était la France au temps de Jeanne d’Arc.
Jeanne d’Arc vivait dans l’humble et intense travail de chaque jour ; elle était gaie parce qu’elle était travailleuse.
Mais aujourd’hui, il ne s’agit point pour nous d’un travail de guerre. À ce vain travail,l’arméefrançaises’estdérobéeparlemouvementd’uninstinctimprévuetdont l’effet nous paraît encore tout déconcertant. Cet instinct a aboli en un instant les calculs maladroits de la politique.
La France ne s’est pas encore mise d’accord, dans la suite de ces réflexes, avec cet extraordinaire échappement de mai, mais elle y vient. S’étant dérobée à la guerre, elle ne peut aller que vers la synthèse européenne des socialismes nationaux.