CELA N’ARRÊTE PAS : Gallimard renonce sous la pression du lobby à rééditer les pamphlets de Céline. Puis le ministre de la Culture, Françoise Nyssen, là encore à la demande insistante du même lobby, retire la référence à Charles Maurras du livre des commémorations 2018 pour les cent cinquante ans de la naissance du maître de Martigues. Et voici que l’humoriste belge Laura Laune est clouée au pilori, encore par les mêmes censeurs, pour avoir osé faire une plaisanterie sur les juifs dans un sketch (voir la chronique de Robert Spieler en page 3). Nous vivons dans une société de plus en plus irrespirable où l’air manque à nos poumons.
Pour mesurer et démontrer combien en trente ans nous avons changé de monde, combien les libertés ont reculé, combien nous sommes dépossédés, soumis à une tyrannie chaque jour plus exigeante, plus coercitive, plus oppressive, combien nous sommes pieds et poings liés, comment la censure favorise l’autocensure de sorte que l’on n’ose plus rien dire et que c’est à peine si l’on ose penser, il nous paraît utile et rafraîchissant, pour quitter un instant la noirceur de ce monde de déments, de nous remémorer en ce trentième anniversaire de sa disparition prématurée (il est mort le 18 avril 1988 d’un cancer du poumon foudroyant) quelques formules et textes savoureux de Pierre Desproges que nous considérons pour notre part comme le plus grand et le plus talentueux humoriste français et dont la langue superbe et la totale liberté de ton nous manquent si cruellement aujourd’hui.
L’humoriste n’avait en effet pas son pareil pour déboulonner les idoles de l’époque et se jouer de toutes les bien-pensances. A propos du dogme de l’égalité entre les hommes et les femmes constitutionnalisée en 2000 par la grotesque loi de la parité, Desproges a cette phrase définitive dans son Manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis : « La femme n’est pas l’égale de l’homme, sinon elle courrait le cent mètres en dix secondes deux dixièmes, ou dix secondes trois dixièmes à la rigueur. […] En politique, les femmes sont généralement nulles. Lors d’une élection présidentielle suivant le suffrage universel la femme choisira le candidat le plus beau ! ».
LA DÉESSE DÉMOCRATIE n’est pas mieux traitée dans ses Chroniques de la haine ordinaire : « Est-il en notre temps rien de plus odieux, de plus désespérant, de plus scandaleux que de ne pas croire en la démocratie ? Et pourtant… Moi-même, quand on me demande : “Etes-vous démocrate ?” je me tâte. Attitude révélatrice, dans la mesure où, face à la gravité de ce genre de question, la décence voudrait que l’on cessât plutôt de se tâter. Un ami royaliste me faisait récemment remarquer que la démocratie était la pire des dictatures parce qu’elle est la dictature exercée par le plus grand nombre sur la minorité. Réfléchissez une seconde : ce n’est pas idiot. Pensez-y avant de reprendre inconsidérément la Bastille. […] D’autant plus que, paradoxe, les intellectuels démocrates les plus sincères n’ont souvent d’autre but, quand ils font partie de la majorité élue, que d’essayer d’appartenir à une minorité. Dans les milieux dits artistiques […], on rencontre des brassées de démocrates militants qui préféreraient crever plutôt que d’être plus de douze à avoir compris le dernier Godard. Et qui méprisent superbement le troupeau de leurs électeurs qui se pressent aux belmonderies boulevardières. Parce que c’est ça aussi, la démocratie. C’est la victoire de Belmondo sur Fellini. C’est aussi l’obligation, pour ceux qui n’aiment pas ça, de subir à longueur d’antenne le football et les embrassades poilues de ces cro-magnons décérébrés qu’on a vus s’éclater de rire sur le charnier de leurs supporters. La démocratie, c’est aussi la loi du Top 50… La démocratie, c’est quand Lubitsch, Mozart, René Char, Reiser ou les batailleurs de chez Polac, ou n’importe quoi d’autre qu’on puisse soupçonner d’intelligence, sont reportés à la minuit pour que la majorité puisse s’émerveiller dès 20h30, en rotant son fromage du soir, sur le spectacle irréel d’un béat trentenaire figé dans un sourire définitif de figue éclatée (l’auteur fait allusion à Patrick Sabatier), et offrant des automobiles clé en main à des pauvresses arthritiques sans défense et dépourvues de permis de conduire. »
LE JEUNISME, autre caractéristique de notre temps, est l’objet d’une semblable exécution en règle avec des considérations très céliniennes : « “Et vous, qu’est-ce que vous avez fait pour les jeunes ?” lançait l’autre soir Jack Lang, cette frétillante endive frisée de la culture en cave… “Qu’est-ce que vous avez fait pour les jeunes ?” Depuis trente ans, la jeunesse, c’est-à-dire la frange la plus totalement parasitaire de la population, bénéficie sous nos climats d’une dévotion frileuse qui confine à la bigoterie. Malheur à celui qui n’a rien fait pour les jeunes, c’est le péché suprême, et la marque satanique de la pédophobie est sur lui. […] Je n’ai jamais aimé les jeunes. […] Leur servilité sans faille aux consternantes musiques mortnées que leur imposent les marchands de vinyle n’a d’égale que leur soumission béate au port des plus grotesques uniformes auquel les soumettent les maquignons de la fripe. […] Et comment ne pas claquer ces têtes à claques devant l’irréelle sérénité de la nullité intelloculturelle qui les nimbe ? Et s’ils n’étaient que nuls, incultes et creux, par la grâce d’un quart de siècle de crétinisme marxiste scolaire, renforcé par autant de diarrhéique démission parentale, passe encore. Mais le pire est qu’ils sont fiers de leur obscurantisme, ces minables. […] La jeunesse, toutes les jeunesses, sont le temps kafkaïen où la larve humiliée, couchée sur le dos, n’a pas plus de raison de ramener sa fraise que de chance de se remettre toute seule sur pattes. L’humanité est un cafard. La jeunesse est son ver blanc. Autant que la vôtre, je renie la mienne, depuis que je l’ai vue s’ébrouer dans la bouffonnerie soixante-huitarde où de crapoteux universitaires grisonnants, au péril de leur prostate, grimpaient sur des estrades à théâtreux pour singer les pitreries maoïstes de leurs élèves, dont les plus impétueux sont maintenant chefs de choucroute à Carrefour. »
Desproges avait bien compris la véritable nature de l’antiracisme unilatéral et obligatoire : dans son Fonds de tiroir, il écrit ainsi : « J’adhérerai à SOS-Racisme quand ils mettront un S à Racisme. Il y a des racistes noirs, arabes, juifs, chinois, et même des ocre-crème et des anthracite argenté. Mais à SOS-Machin, ils ne fustigent que le Berrichon de base ou le Parisien- baguette. C’est sectaire. Rappelez-vous ce fait divers : ce flic bourré du samedi soir qui avait buté un jeune Maghrébin d’un coup de flingue dans le buffet. Sans raison, comme ça. Couic, le bougnoule. Le samedi c’est pour se défouler. Ce qu’aucun journal, aucune radio, aucune télé n’a cru bon de préciser, c’est que le flic était noir… Ce type de lacune châtre un peu l’information. Je me demande même si on ne pourrait pas appeler ça de la censure. »
ET SA LIBERTÉ DE TON concernant le peuple élu auquel il consacre un sketch hilarant est telle qu’il devrait aujourd’hui en répondre devant les tribunaux et serait interdit de télévision et de radio : « […] En réalité il y a deux sortes de juifs : le juif assimilé et le juif-juif. Le juif assimilé a perdu son âme en même temps que son identité. Il bouffe du cochon pas casher en regardant Holocauste. Il est infoutu de reconnaître le Mur de Berlin du Mur des Lamentations. J’en connais ? J’en ai plein mes soirées. Ils sont la honte des synagogues. […] Le juif-juif, c’est différent. Le juif-juif se sent plus juif que fourreur. Il renâcle à l’idée de se mélanger aux gens du peuple non élu. En dehors des heures d’ouverture de son magasin bien sûr. Dès son plus jeune âge, il recherche la compagnie des autres juifs. Ce n’est pas si facile. Depuis que le port de l’étoile est tombé en désuétude, il n’est pas évident de distinguer un enfant juif d’un enfant antisémite. »
Ou encore, recevant Daniel Cohn-Bendit dans le Tribunal des flagrants délires de France Inter — où fut d’ailleurs convié Jean-Marie Le Pen le 28 septembre 1982 —, l’avocat général Desproges dit à l’“accusé” : « Je n’ai rien contre les rouquins. Encore que je préfère les rouquins bretons qui puent la moule aux rouquins juifs allemands qui puent la bière. D’ailleurs, comme disait à peu près Himmler : “Qu’on puisse être à la fois juif et allemand, ça me dépasse.” C’est vrai, il faut savoir choisir son camp. Enfin, tout ça, ça n’existe plus. Je veux dire que de nos jours, quand même, on peut dire qu’il y a moins d’antisémites en France que de juifs. »
Toujours à propos d’Himmler, Desproges ose : « Cheminant entre Auschwitz et les Pays- Bas, Himmler se disait en lui-même : “On ne peut pas être à la fois au four et au moulin” ». Dans la même veine, parlant audacieusement du « chancelier Hitler », Pierre Desproges s’étonne du sentiment d’antipathie qu’il inspire chez beaucoup, se demandant si ce qui déplaît le plus aux gens chez lui, « c’est le peintre ou l’écrivain ». Desproges assène également : « Dans la Collaboration, pour bien gagner sa vie, il faut dénoncer des Juifs. Ce n’est pas très marrant de dénoncer. Oui mais, dans la Résistance, on ne dénonce pas les Juifs, mais il faut vivre avec ! »
Encore quelques purs diamants desprogiens : « On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi » ; « Mieux vaut entendre ça que d’être juif ! », « Je me méfie des rumeurs, vous savez. Quand on me dit que si les juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe. », « Pour les médecins je suis absolument formel, tous les médecins sont juifs. Enfin, le docteur Petiot, je ne suis pas sûr. Le docteur Petiot est ce médecin parisien qui a réussi à démontrer en 1944 que les juifs étaient solubles dans l’acide sulfurique. Le docteur Petiot n’était pas juif. Alors que le docteur Schwartzenberg si ! Cela dit il n’y a aucun rapport entre Petiot et Schwartzenberg, je ne sais même pas pourquoi je fais le rapprochement. Non, je veux dire que Schwartzenberg lui, il ne fait pas exprès de tuer les gens ! Oh non ! Tiens, voilà encore un bruit idiot qui court : quand on vous dit que les juifs sont vecteurs de maladie, ce n’est pas vrai. Regardez Schwartzenberg, est-ce qu’il est cancérigène ? Non. Comme disait mon copain Le Luron : “il suffit de ne pas trop s’approcher !” » (citations émanant du sketch : « on me dit que des juifs se sont glissés dans la salle… »)
D’AUCUNS font grand cas du fameux « humour juif » qui serait supérieur à tous les autres. Qu’on parle d’humour juif agaçait prodigieusement Desproges qui contestait que le génie comique résidât dans une race dans son ensemble et non pas seulement chez un individu en particulier. En tout cas, quand on voit la LICRA, le CRIF, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme et consorts traquer tous les traits d’esprit qui leur déplaisent, en appeler à la censure et à l’interdiction des spectacles, à la ruine voire à l’embastillement des artistes anti-conformistes ou faisant simplement leur métier avec talent, il faut croire que le sens de l’humour n’est vraiment pas leur qualité première et qu’ils se rendent exécrables. Oui, le Limousin Desproges nous manque terriblement. Dans la société cauchemardesque où nous devons (sur)vivre, cet humour corrosif n’a plus sa place car les invertis intellectuels, spirituels, politiques et sexuels qui nous dirigent n’ont aucunement le sens de l’humour et de la dérision. Car pour cela il faudrait qu’ils ne soient pas dupes du jeu qu’ils jouent, qu’ils gardent une certaine distance critique, qu’ils aient encore mesure, bon sens et bon goût. Il n’en est rien. Reviens, Pierre, ils sont devenus fous !
Jérôme Bourbon
Éditorial de Rivarol n°3315 du 31/01/2018
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