CE MERCREDI 13 MARS sort en librairie un livre politique en forme de pamphlet, Bal tragique au Front national. Trente ans au cœur du système Le Pen (éditions du Rocher, 17,90 euros) rédigé par l’eurodéputé Sophie Montel. Un ouvrage qui fait l’effet d’une bombe tant il révèle sans fioritures des pratiques sordides et des comportements immoraux de la part de cadres et dirigeants du Front national. D’aucuns ne verront dans ce livre qu’une basse vengeance et qu’un tissu de calomnies. Mais pour assez bien connaître de l’intérieur le FN, tout hélas nous paraît parfaitement crédible dans les descriptions et révélations de Sophie Montel. « Certains prendront ce livre comme un règlement de comptes », écrit l’eurodéputé pour répondre d’avance à ses accusateurs. Peut-être, mais peu m’importe, car comme le disait Sacha Guitry : « Plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui. » Je l’ai écrit en guise de solde de tout compte, pour fermer une porte, animée aussi par la volonté de faire connaître aux autres mon vécu, mon expérience au sein du Front national et cette illusion qu’est Marine Le Pen. Je suis sortie de cette secte politique un peu cabossée sans doute, mais enfin libre. Les faits que je relate ici ne sont pas des inventions de ma part, je ne les ai pas rêvés la nuit et racontés le jour, ils sont vrais et c’est là le plus terrible mais aussi parfois le plus amusant. Traitée de folle, d’affabulatrice, d’ingrate ; menacée de mille maux, de mille poursuites, je le serai ; mais là encore peu m’importe, il est temps que les masques tombent pour mettre au jour cette imposture, ce cul-de-sac électoral. »
Ce que révèle avec son habituel franc-parler Sophie Montel (que j’ai bien connue il y a 25 ans quand je militais au FN à Besançon, et c’est d’ailleurs aussi pourquoi je peux affirmer que dans cette affaire elle est totalement sincère) n’est pas une surprise pour nous, car voilà des années que nous dénonçons non seulement une trahison des fondamentaux mais de plus des comportements souvent indignes. Non de la base du mouvement qui a toujours été profondément sincère et désintéressée mais de la part d’arrivistes sans scrupules, sans conviction, sans colonne vertébrale, sans honneur et sans morale. Certes les autres partis politiques ne valent pas mieux, c’est évident, mais on aurait pu espérer d’un mouvement qui avait publiquement pour devise « tête haute et mains propres » (ce slogan a même été inscrit en gros caractères sur des affiches géantes !), qui s’affirmait anti-Système et qui a souvent été injustement diffamé, qu’il se montrât à la hauteur de l’espoir que des millions de Français avaient mis en lui et des responsabilités qu’il entendait exercer.
SOPHIE MONTEL, qui resta trente ans au FN et qui fut proche de Philippot avant de voir clair sur le personnage et de le quitter, n’est certes pas de notre paroisse. Elle s’est prononcée le 1er mai 2016, lors d’une grande réunion du FN à Paris, pour « la sanctuarisation de la contraception et la non-remise en cause du droit à l’avortement », ce qui avait ravi Marine Le Pen (« tu as raison, Sophie » avait-elle approuvé, en forme de cri du cœur), elle est très libérale, comme la patronne du Rassemblement national, sur les questions sociétales, dont l’homosexualité. Mais précisément cela rend d’autant plus fort son témoignage lorsqu’elle dénonce le fait que depuis l’arrivée de Marine Le Pen, pour être promu au sein du parti, ou même seulement pour garder sa place, il faut à un certain niveau passer sous les fourches caudines de prédateurs sodomites. Des cadres du FN, pourtant invertis, avaient en effet eux-mêmes porté plainte pour harcèlement (homo)sexuel, tellement ils n’en pouvaient plus d’être la proie et le jouet de pervers, intimes de la Présidente, mais que cela soit écrit noir sur blanc dans un livre permet de mettre au jour une pratique, semble-t-il, répandue dans les hautes sphères du FN.
On sait que notre société malade est de plus en plus immorale et hypersexualisée mais dans un mouvement qui a longtemps défendu dans son programme et dans ses discours la famille, le mariage et le respect de la morale traditionnelle, de telles dérives eussent pu être évitées, et en tout cas sanctionnées, ce qui n’a jamais été le cas. Au Front national, comme au Parti socialiste, comme chez les Patriotes de Philippot, comme dans l’église conciliaire, comme hélas actuellement dans beaucoup d’organisations de notre monde dégénéré, ce sont de véritables réseaux d’homosexuels militants et prédateurs qui sont mis en place avec le consentement, au moins silencieux, de la direction, quand il ne s’agit pas d’une complicité active et délibérée.
Qu’on nous pardonne donc de citer longuement le récit de Sophie Montel, souvent cru. Mais il est nécessaire de regarder la vérité en face afin que nul ne puisse dire qu’il ne savait pas et afin de comprendre qu’il n’y a décidément rien à attendre de partis politiques profondément corrompus et corrupteurs. « J’ai connu un cadre du mouvement, écrit Montel, qui se promenait avec dans le coffre de sa voiture tous les catalogues listant les clubs échangistes de France et de Navarre et plusieurs bouteilles de champagne, au cas où. Il y avait aussi cette secrétaire qui avait comme autre activité la vente de sex-toys. J’ai assisté à des scènes de drague entre hétéros, entre homos, parfois lourdingues et déplacées. Je n’oublie pas non plus ce très haut placé dans la hiérarchie frontiste, dont le jeu préféré était de “convertir” de jeunes hommes bruns à l’homosexualité. Au moins trois ont succombé à ses avances assidues, en échange d’ascensions pécuniaires fulgurantes. […] Selon lui, si les gars sont “chiens” (comprenez hétéros), cela n’est pas dramatique, ce sont juste des “chats” (comprenez homosexuels) qui s’ignorent. Il sort d’ailleurs la nuit chasser le jeune “chien” qu’il espère convertir en “chat”. […] Il y a eu ces soirées au Sofitel de Strasbourg où des types se retrouvent à cinq ou six dans la même chambre. […] Il y a des trucs plus glauques, avec des histoires de “je te tiens, tu me tiens par la braguette”, le type hétéro, haut cadre qui a une aventure homosexuelle et qui tremble à l’idée qu’on l’apprenne — surtout les parents de sa fiancée. Pas de bol pour le malheureux, au FN tout le monde connaît les histoires de c.. de tout le monde. Mais dans ce petit monde, ça peut vite dégénérer : parmi ceux qui racontent les frasques sexuelles des uns et des autres, se glissent ceux qui vous mettent sous le nez une photo privée entre deux de vos assistants ou qui promettent de dévoiler des vidéos, on n’est plus loin du chantage en réalité. Et pour faire un tour complet du sujet si j’ai entendu des réflexions homophobes au sein du FN, j’ai aussi découvert un peu plus tard que l’hétérophobie existait. Et ça ne vaut pas mieux, croyez-moi. »
TOUT QUASIMENT serait à citer dans le livre de Sophie Montel. La façon dont est géré l’argent par des cadres et dirigeants qui ne pensent qu’à s’enrichir par tous les moyens et à vivre sur un grand pied, y compris au détriment de militants taillables et corvéables à merci et du contribuable français et européen (voir l’affaire des kits de campagne et des assistants parlementaires). Un monde de médiocres, d’incompétents infatués, de paresseux et de parasites où l’on ne vit que pour « les piscines de champagne et de rosé » et où il faut toujours faire la fête et s’éclater, même le soir d’une défaite électorale cuisante, comme le 7 mai 2017.
Les descriptions de Marine Le Pen et de sa bêtise satisfaite, de son arrogance, de sa brutalité, de son vide sidéral, de ses ricanements hautains, sont plus vraies que nature. « Marine Le Pen a de nombreuses faiblesses. Elle est incapable, notamment, de trancher : elle laisse ainsi pourrir les situations. […] Elle ne s’impose pas naturellement mais toujours par la violence, par la menace, les cris. Les différentes coteries qui composent le FN la subissent jusqu’à l’écœurement. Elle a déçu, lassé, mais étant la seule détentrice de la clé des investitures et du coffre, tous s’écrasent, baissent la tête. L’attirance pour la cour frontiste et sa vie facile de privilèges a son effet corrupteur et corrosif. Son autoritarisme, sa brutalité, son agressivité, qui masquent si mal son manque d’autorité et de stabilité politique, la rendent ridicule et l’ont décrédibilisée en interne. » Un portrait au vitriol qui lui vaudra sans doute des poursuites de la part d’une Marine Le Pen très procédurière qui déteste qu’on lui dise ses quatre vérités. Nous sommes bien placés pour le savoir.
[…]
RIVAROL.
Editorial du numéro 3368 de RIVAROL daté du 13 mars 2019.