A en croire les gazettes Brigitte et Emmanuel Macron seraient terrifiés à l’idée de connaître de nouveaux et violents soulèvements populaires. Dans un article paru le 16 novembre, Le Parisien a ainsi compilé les témoignages de proches du couple présidentiel. Et ils rendent compte d’un profond climat d’angoisse : « Il se rend compte qu’il a allumé une mèche et il ne sait pas quelle sera l’ampleur de l’explosion. », décrit un membre du premier cercle macronien. « Il est inquiet, mais concentré » nuance l’Elysée. « Il n’est pas traumatisé par ce qui s’est passé. C’est plutôt une partie de son entourage et les cabinets ministériels qui sont frileux. On est gouvernés par la peur » ajoute un ministre amer, tandis qu’un autre proche du couple confie ouvertement : « Brigitte a les pétoches. ». En décembre 2018, au plus fort de l’insurrection populaire, la sexagénaire Brigitte Trogneux avait été comparée à « Marie-Antoinette, qui vit dans sa bulle, tandis que l’on veut la guillotine pour Emmanuel Macron ». Des gilets jaunes avaient alors manifesté devant sa maison au Touquet. Elle en a gardé, dit-on, un profond traumatisme. Le mécontentement populaire pourrait-il être aussi fort, voire davantage encore, cette fois-ci et tout renverser sur son passage ?
Voici un an en effet, le 17 novembre 2018, démarrait le mouvement des Gilets Jaunes. Et il y a quatre ans c’était la boucherie du Bataclan pour laquelle David Sassoli, président italien du Parlement européen, a refusé la fameuse minute de silence, d’origine maçonnique, à la mémoire des malheureuses victimes : 130 morts, 450 blessés. Certes le Parlement européen a décrété la mise en quarantaine des eurodéputés souverainistes parce que « les partis pro-européens considèrent que les nationalistes doivent être tenus à distance le nationalisme étant un virus », faisant en cela écho à Jacques Attali, gourou décati sur le retour mais n’ayant pas froid aux yeux, qui lui regarde tout souverainisme comme « du racisme voire de l’antisémitisme ». De nos jours la mémoire est à géométrie très variable. Les éternelles victimes d’un côté, les perpétuels bourreaux de l’autre… Et si nous inversions la tendance ?
Jusqu’à ce samedi 16 novembre 2019 et leur 53e Acte, les Gilets Jaunes étaient déclarés en état de mort clinique. Ce qui ne manque pas de sel sachant que les personnels des hôpitaux défilaient le 14 novembre 2019, de l’inédit depuis mars 2017, tout juste deux jours avant que la France n’entre à nouveau en ébullition. Mais les bons esprits nieront tout rapport entre une grogne apparemment catégorielle et la révolte de la France profonde, si peu compréhensible par les nantis de la révolution numérique et de l’économie globale. Pris de panique, le pouvoir fait annoncer par la voix officieuse du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, que l’État serait prêt à racheter la dette des hôpitaux forte de 30 milliards d’euros ! Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le nombre d’admissions dans les services d’urgence a doublé en vingt ans, résultat de la désertification médicale de la France périphérique et de l’afflux de populations immigrées et assistées. En septembre 2019, Mme Buzyn, ministre de la Santé, annonçait le déblocage de 750 millions d’euros d’ici à 2022 afin de résorber cet abcès purulent. Toutefois fin octobre, 260 services étaient toujours en grève.
Certes le message et l’image des Gilets Jaunes se trouvent aujourd’hui passablement brouillés par les dégradations commises par des Black Blocks et autres racailles cassant tout sur leur passage et se faisant ainsi les alliés objectifs des pouvoirs publics, comme encore Place d’Italie le 16 novembre. Certes une gauche obsolète, mais vindicative, quoique moribonde, laquelle n’a cessé ces six derniers mois de vouloir entrer par effraction dans le mouvement en tentant de la placer sous sa bannière (celle de la CGT, de FO et de la CFDT), cela sous couvert de « convergence des luttes », fait également tout ce qu’elle peut pour défigurer et neutraliser ce phénomène populaire né de et dans la France rurale. Plus discrètement — mais cela en dit long sur la nature profonde du reliquat socialo-socialiste — les formations de Gauche et du Centre mou négocient actuellement des fusions (et par conséquent leur ralliement) avec les listes de la République en Marche en vue des élections municipales du printemps prochain. Beaucoup parmi les nostalgiques d’un pouvoir qui leur a échappé (des prébendes et privilèges qui l’accompagnaient) voudraient y voir un tour de chauffe dans la perspective de la journée de mobilisation générale du 5 décembre. Macron, sentant qu’il perd pied, ne se privera pas de faire miroiter on ne sait quelle mirobolante réforme en application d’un moyen réputé infaillible : dépouiller Pierre pour essayer de calmer Paul !
En ce qui concerne les hôpitaux, il ne s’agit pas seulement de revendications catégorielles, n’étant pas à l’évidence “corporatistes” stricto sensu puisqu’il s’agit moins de préserver des “avantages” (au contraire de certains cheminots) que de dénoncer une mal-gouvernance devenue chronique, la crise du système hospitaliers n’étant en fin de compte que le reflet ou un sous-ensemble des dysfonctionnements généralisés s’étendant à l’ensemble du corps social (et bien entendu non réductibles à la seule économie).
L’insurrection civique est ainsi en passe de prendre un nouveau visage : celui par exemple de la « grève générale illimitée », idée que lançait le 5 février dernier l’avocat rouennais François Boulo. Dix mois plus tard peut-être y sommes-nous ? À n’en pas douter nous nous acheminons certainement vers des grèves dures et de longue durée. Les manifestations ont en effet fait long feu en dépit de techniques répressives parfaitement au point, sans doute sous l’influence et les conseils de ces experts israéliens en maintien de l’ordre qui coopèrent avec nos propres personnels de sécurité, quand ils ne les forment pas. Dans le domaine sécuritaire — le terrorisme islamiste aidant —, les échanges sont, on le sait, intenses et fructueux.
Au demeurant comprendre le mouvement des Gilets Jaunes, c’est envisager au moins trois dimensions du malaise sociétal qui nous affecte : primo, la marche boiteuse de la société, deusio, la situation désastreuse des affaires publiques, ce qui conduit, tertio, à souligner l’action (impuissante, voire souvent perverse) du gouvernement, c’est-à-dire des individus en charge de nos destinées collectives.
Si les gilets jaunes ont pu être si cavalièrement déclarés morts ou disparus n’était-ce pas a priori parce que le traitement médiatique dont ils ont fait l’objet ces derniers temps les a volontairement ignorés ? Ayons à l’esprit la manifestation parisienne contre la Procréation médicalement assistée. Les journaux télévisés (les seuls qui comptent à présent) n’en ont quasiment pas parlé, omettant sciemment de donner des chiffres, se contentant, avec un sourire torve, d’un dérisoire « le tiers à peine de la Manif pour tous »… Excusez du peu, soit en l’occurrence quelque 500 000 manifestants, une bagatelle ! Ce qui donne un petit aperçu du pouvoir de nuisance médiatique et de sa capacité à mentir par minoration et omission.
Pour décrire les événements en cours, les médias jouent sur trois types de représentations précieuses pour qui veut manipuler l’information et laver quotidiennement les cerveaux par saturation… et l’opinion fabriquée au jour le jour par la presse en tant que de besoin… D’abord celle du goulet d’étranglement : les événements se précipitent de plus en plus vite dans un espace étroit et pentu, c’est-à-dire de façon de plus en plus chaotique tout comme l’eau du torrent qui déboule à flanc de montagne. Puis nous avons les événements perçus comme des traces successives laissées sur le sable d’une plage et que chaque vague efface tour à tour. Enfin, le spectacle de l’étendue inerte d’une eau stagnante et marécageuse à la surface de laquelle viennent crever d’énormes bulles silencieuses : si vous n’avez pas les yeux tournés dans la bonne direction au moment précis où la bulle se forme et éclate, vous ne savez pas et vous ne saurez jamais qu’un événement s’est produit. Et ne comptez surtout pas sur la gens médiatique pour vous le dire ! Trois représentations de l’actualité qui décrivent notre rapport à l’information et au monde par le truchement de médias, ceux-là n’étant la plupart du temps pas là pour nous éclairer mais bien pour obscurcir notre jugement et jeter la confusion dans notre perception du monde.
Bref, les Gilets Jaunes, à l’instar des revenants, n’ont pas quitté la scène simplement parce qu’ils ne l’avaient jamais quittée, mais ils avaient tout bonnement disparu des écrans radar médiatiques que l’on montre au public. Le long fleuve peu tranquille de la colère populaire poursuit donc sa course, mais sous la surface visible (à l’instar des fleuves saisonniers du Botswana ou de la Loire et de ses sables mouvants) susceptible de resurgir à tout instant parce que les feux (et les raisons) de la colère sont très, très loin d’être éteints. Mentionnons ici la recrudescence de neutralisations (voire de destructions) des radars de contrôle routier, surtout ceux de la dernière génération, les bifronts, les radars mâts, pourtant réputés indestructibles. Les autorités ont pu croire un temps que ces déprédations n’avaient été qu’un épisode parmi d’autres accompagnant les occupations de ronds-points et les défilés urbains, mais voilà qu’elles repartent à la hausse et de plus belle (le feu couvait évidemment sous la cendre du silence médiatique), assurément le signe précurseur d’une nouvelle prochaine flambée de rébellion contre l’État Moloch. Souvenons-nous que la vague anti-radars de l’été 2018 avait précédé de quelques mois le mouvement des Gilets Jaunes, aussi est-il loisible se demander si le présent regain d’incivilités dirigées contre ces nobles mobiliers (mais ô combien indésirables), n’est pas également annonciateur d’un retour en force des Gilets jaunes ou de leurs successeurs.
N’oublions pas non plus que le mouvement a démarré « sur la route », essentiellement dans la France rurale : jacquerie contre la hausse du gasoil, contre les 80 km/h, contre le durcissement des contrôles techniques, la désertification, la mort des services publics et des petits commerces dans nos campagnes avec pour conséquence l’allongement démesuré des distances pour accéder à un minimum de services. Allongements des distances et surcoûts induits. Mais l’automobiliste, c’est bien connu, ne se déplace que pour ses loisirs, pollue la planète, est responsable du réchauffement climatique et de la montée des eaux, qu’il est à ce titre une inépuisable vache à lait sujette à un perpétuel harcèlement administratif.
Revenons brièvement sur ce que les Gilets Jaunes sont et ce qu’ils ne sont pas. Ce qui caractérise d’abord les Gilets Jaunes, c’est leur dimension transgenre : ni ouvrier, ni bourgeois, ce n’est pas un mouvement catégoriel et il fait mentir la vulgate marxiste de la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Contre la segmentation et la fragmentation des sociétés modernes (lesquelles répondent à l’extension ab libitum des marchés de la consommation… consumérisme et obsolescence programmée étant les deux mamelles de l’ultralibéralisme, soit la destruction permanente de la richesse créée à une époque où l’on a jamais autant parlé de durabilité)… Pas plus que nous n’avons de distinctions nettes entre classes d’âge : pas de jeunisme au sein des Gilets Jaunes ! On peut ainsi, à propos des Gilets Jaunes, parler raisonnablement du “peuple” en marche, uni par une même appétence pour plus de justice sociale (à ne pas confondre avec l’égalité) et un même désir de dignité… Il ne s’agit donc pas d’une simple foule anonyme… ou solitaire (solidaire plutôt). Vus sous cet angle, les précédents mouvements similaires par leur composition sociologique sont les manifestations de janvier et de février 2003 contre la guerre du Golfe, beaux quartiers et base populaire mêlés (qui s’en souvient ? Les événements se suivent, se recouvrent et s’effacent les uns après les autres), idem pour La manif pour tous de novembre 2012.
Mouvement à dominante rurale au départ, par la suite le mouvement des Gilets Jaunes s’étend à toutes catégories sociales, citadins et ruraux… Les grandes manifestations de la capitale ont en effet été l’occasion de montrer que ce n’était pas seulement la province qui était montée à Paris. Et cet automne on a pu constater avec les mouvements de protestation de masse touchant diverses catégories sociales : enseignants (grève des corrections des épreuves du baccalauréat), urgentistes, policiers, pompiers, cheminots, etc., qu’ils concernaient la France entière au-delà de tous les clivages statutaires et toutes catégories socioprofessionnelles confondues.
La césure sociale n’est clairement pas non plus idéologique ou politique : jusqu’à ce que la “gauche”, en l’occurrence, ait tenté de récupérer ou de détourner au profit d’un pouvoir étranger aux intérêts nationaux la fronde populaire, la coloration politique est restée absente… sauf en ce qui regarde un anti-macronisme virulent ! Mais l’actuel président très minoritaire en chute libre dans les sondages d’opinion (aussi biaisés soient-ils) n’a-t-il pas été élu par un tour de passe-passe électoral ? Notre système représentatif relevant plus du bonneteau institutionnel que d’un exercice de pure démocratie, avec pour mandat et pour mission de faire de nous de pâles copies d’Américains moyens, nomades, déracinés, taillables et corvéables à merci pour le plus grand bonheur des oligarchies et des ploutocraties apatrides et mondialistes. Une renaissance du mouvement des gilets jaunes est-elle de nature à enrayer cette funeste évolution ? C’est tout l’enjeu des semaines et mois à venir.
Léon CAMUS et Jérôme BOURBON.
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Editorial du numéro 3400 de RIVAROL daté du 20 novembre 2019.