La manipulation a parfaitement fonctionné. Emmanuel Macron a réussi à faire croire à la majeure partie de l’électorat qu’il ne se situait pas dans la droite ligne idéologique de François Hollande alors qu’il fut secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’Économie pendant le précédent quinquennat. Ce n’est certes pas une première, Chirac en 1995 était déjà parvenu à faire croire qu’il incarnait la rupture par rapport à Édouard Balladur alors que ce dernier était membre du même parti, le RPR, et que le député Chirac à l’Assemblée avait voté la confiance au gouvernement Balladur et tous les projets de loi. Nicolas Sarkozy en 2007 avait réussi pareille mystification : alors qu’il avait été l’un des principaux ministres de Chirac pendant cinq ans et qu’il était l’un des principaux dirigeants de l’UMP créé par le même Chirac en 2002, l’ex-maire de Neuilly était parvenu à apparaître comme un homme neuf, nullement responsable du bilan chiraquien. Il est donc très facile, avec un peu d’habileté, beaucoup de culot et de mensonges, de duper les électeurs, de leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Et comme c’est le cas à chaque fois que les législatives suivent de quelques semaines la présidentielle, le chef d’État nouvellement élu disposera selon toute vraisemblance d’une large majorité lui permettant de mettre en œuvre pendant cinq ans son projet. 2017 devrait sur ce point confirmer ce que l’on a connu en 1981, 1988, 2002, 2007 et 2012, le chef de l’État disposant à chaque fois d’une majorité absolue (sauf en 1988 où Mitterrand eut une majorité relative, ce qui n’empêcha nullement ses gouvernements socialistes successifs de durer tout le long de la législature).
Les Républicains qui prétendaient qu’ils pourraient gagner les législatives après avoir perdu la présidentielle n’y croient plus eux-mêmes. Chirac, qui avait fait élire en sous-main Mitterrand en 1981 contre Giscard, prétendait à l’époque que la gauche n’aurait jamais la majorité aux législatives de juin 1981. On a vu ce qu’il en est advenu, le PS disposant à lui seul de la majorité absolue. C’est que l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État crée une dynamique en faveur de son parti aux législatives subséquentes, dynamique encore renforcée par l’effet amplificateur du scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Tout laisse donc à penser que la République en marche, et son allié du Modem, disposeront le 18 juin au soir de la majorité absolue des sièges. Les résultats du premier tour des législatives pour les Français de l’étranger sont déjà très instructifs à cet égard. Dans huit des onze circonscriptions le candidat soutenu par la République en marche dépasse largement les 50 % des suffrages exprimés, et si un second tour est nécessaire, c’est seulement à cause de la très forte abstention (plus de 80 %). Et dans dix des onze circonscriptions le candidat macroniste arrive largement en tête, alors même que la République en marche n’avait pas de députés sortants parmi les Français de l’étranger. Même si nos compatriotes qui résident en dehors du territoire national sont plus macroniens que la moyenne des Français (ils avaient voté au premier tour de la présidentielle à 40 % pour Macron qui avait récolté 24 % sur la France entière), on ne peut contester une forte progression en pourcentage en l’espace de seulement quelques semaines. Il serait donc étonnant qu’il n’en aile pas de même le 11 juin sur la France entière.
L’abstention qu’on annonce forte pour ces législatives (près de 50 %) devrait aussi mécaniquement favoriser les candidats soutenus par Macron. Car le camp du président élu est forcément plus mobilisé que celui de ses adversaires, beaucoup d’électeurs considérant que les jeux sont faits avec l’élection du président et qu’il faut lui laisser sa chance. Il faut dire que la nette victoire du chef de file de En marche a déstabilisé tous les partis politiques traditionnels sans exception. Le PS est à son niveau historiquement le plus bas depuis sa refondation au congrès d’Épinay en juin 1971 il y a quarante-six ans, à moins de 10 % des voix, et il devrait obtenir un contingent d’élus probablement encore plus faible que les 53 députés qu’il avait sauvés de la Bérézina de 1993. Le Parti communiste, crédité de 2 %, est mis à mal par la volonté de Mélenchon de présenter partout des candidats de la France insoumise mais ce mouvement aura du mal à rééditer le score de son porte-parole à la présidentielle car la dynamique en sa faveur semble avoir vécu depuis l’échec de Mélenchon à se qualifier pour le second tour de la présidentielle. La France insoumise pourrait obtenir un score national très inférieur au près de 20 % obtenu par son chef le 23 avril.
Les Républicains, on l’a dit, n’ont aucune chance, d’obtenir la majorité. S’ils parviennent à faire réélire 150 députés, ce serait déjà une performance compte tenu de la dynamique en faveur de Macron, des conséquences de la cuisante défaite de Fillon et des divisions en leur sein, le parti étant scindé entre une aile gauche favorable à une entente voire à une alliance avec le nouveau président et une aile droite autour de Wauquiez qui souhaite s’inscrire dans une franche opposition, même s’il s’agit là évidemment d’un leurre. Wauquiez, soutenu par Sens commun et par Valeurs actuelles, qui, dans son édition du 25 mai, faisait de lui un portrait très laudateur, devrait logiquement être largement élu à la présidence des Républicains lors du congrès prévu cet automne. Il espère réussir à la présidentielle de 2022 ce que Sarkozy avait réussi quinze ans plus tôt, en 2007 : rassembler sur son nom dès le premier tour la grande majorité des électeurs de toutes les droites et l’emporter au second sur une ligne — apparemment — droitière. Il n’est pas impossible du tout qu’il y parvienne, compte tenu notamment de l’affaiblissement du Front national, de ses divisions internes et surtout du discrédit de sa présidente, conséquence de son débat calamiteux.
A trente ans d’écart, Jean-Marie Le Pen et sa fille se sont rendus définitivement inéligibles à la magistrature suprême, le premier à cause de l’affaire du détail, le 13 septembre 1987, la seconde à cause de sa prestation pathétique lors du débat du 3 mai 2017. Personne de sensé et d’objectif ne peut croire que Marine Le Pen ait la stature et la carrure présidentielles. Elle a certes la carrure d’une déménageuse mais certainement pas celle d’un chef de l’État doté de l’arme et du code nucléaires, conduisant la diplomatie du pays, et ayant sous ses ordres l’armée, la police et la gendarmerie. Nous connaissons des militants du FN qui, à l’issue du débat télévisé, étaient en pleurs tellement ils étaient traumatisés, effarés, stupéfaits par la prestation indigne de leur chef, inculte, incompétente, vulgaire, désinvolte. Un étudiant de Science Po en quelques mois est capable d’apprendre deux cents pages pour comprendre la politique monétaire, en vingt ans de vie politique, Marine Le Pen n’en a pas été capable ou n’en a pas manifesté la volonté par pure paresse.
Dans l’émission Zemmour et Naulleau du 31 mai, la journaliste Alba Ventura rapportait que Marine Le Pen lui aurait confié qu’elle aurait sous-estimé le temps qu’il fallait pour préparer un débat, qu’elle s’était couchée la veille à vingt-trois heures, qu’elle avait été sur les routes les jours précédents, bref qu’elle avait manqué de temps pour être au point. On croit rêver. Voilà quatre ans que tous les sondages indiquaient qu’elle serait au second tour de la présidentielle, depuis fin février 2017 toutes les enquêtes sans exception montraient que l’autre finaliste serait Emmanuel Macron, de plus elle a disposé encore de dix jours après les résultats du premier tour pour préparer activement ce débat et elle n’en a rien fait. Quel amateurisme, quelle incompétence, quelle désinvolture et quel mépris des électeurs, de ses soutiens et même de ses équipes qui lui avaient préparé des argumentaires ! Et le soir du second tour, après sa défaite, elle a préféré s’éclater, en se dandinant et en se trémoussant sur une piste de danse sur des rythmes endiablés tandis qu’au même moment Macron arrivait au Louvre, l’air grave et solennel, au son de l’Hymne à la joie. D’aucuns croyaient qu’elle était l’héritière de Mussolini, elle est en fait le clone de Patrick Sébastien ! Et quand certains la comparent à la Pucelle sans doute doivent-ils être des adeptes de l’antiphrase.
Combien de députés le FN peut-il espérer obtenir le 18 juin au soir ? Nous serions pour notre part fort étonné qu’il dispose d’un groupe parlementaire (au moins 15 députés) dans le contexte actuel. Un sondage récent donne même Gilbert Collard, seul député mariniste à se représenter, assez nettement battu dans son fief du Gard par la représentante de Macron. Le néo-FN ne devrait donc récolter qu’une toute petite poignée d’élus d’autant que le scrutin majoritaire à deux tours lui est très défavorable puisqu’il ne dispose que de peu de réserves de voix. Les mois qui viennent s’annoncent donc sombres pour le FN entre probable mise en examen de sa présidente pour abus de confiance, renvoi devant le tribunal correctionnel pour la plupart de ses dirigeants et règlements de compte en interne. Marine Le Pen a confirmé sa volonté de changer le nom du parti, parachevant ainsi sa révolution. Après la liquidation du programme et de la ligne historiques, après l’exclusion du père fondateur et des cadres de valeur, il ne reste plus en effet qu’à changer le nom et à créer un parti totalement marinisé, ce que RIVAROL a annoncé, disséqué et dénoncé depuis de longues années comme on peut le vérifier en consultant les anciens numéros de notre hebdomadaire.
La benjamine de Jean-Marie Le Pen pense que lorsque les électeurs seront déçus de Macron ils reviendront en masse vers elle. Mécaniquement, sans qu’il soit besoin de se fatiguer. Mais c’est là où son calcul est hasardeux car rien n’assure qu’elle connaîtra à nouveau et de sitôt une nouvelle dynamique, même si, comme c’est probable, elle est élue député dans son fief de Hénin-Beaumont. Si Macron échoue, cela peut en effet profiter à Wauquiez, à Mélenchon ou peut-être à une autre personnalité. Mais rien ne dit que cela bénéficiera automatiquement à une Marine Le Pen durablement carbonisée, décrédibilisée, délégitimée aux yeux du plus grand nombre. Alors que la défaite de Fillon dès le premier tour pouvait permettre au FN d’attirer vers lui quantité d’électeurs de droite orphelins, le tropisme de gauche de son chef et sa prestation désastreuse lors du grand débat ont ôté toute possibilité de créer la moindre dynamique en sa faveur. La stratégie dite de dédiabolisation n’aura donc pas seulement été une gigantesque trahison. Elle aura été aussi un cinglant échec. Défaite et déshonneur, telles sont les deux mamelles d’un marinisme destructeur.
Éditorial de Rivarol n°3286 du 7/6/2017