Pour maintenir durablement la gauche au pouvoir, François Mitterrand avait mis en œuvre une stratégie machiavélique d’une redoutable efficacité politique : la fragmentation des droites. Il s’agissait d’une part de favoriser discrètement l’émergence du Front national en lui donnant accès à des émissions politiques sur les chaînes publiques et en lui permettant d’obtenir un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale grâce à l’introduction du scrutin proportionnel et d’autre part de diaboliser ce mouvement et ses dirigeants, de caricaturer son programme, comme le faisait notamment SOS-Racisme, afin d’empêcher l’union électorale de toutes les droites. Cette stratégie a fortement aidé à la réélection de Mitterrand en 1988 alors que la gauche, toutes tendances confondues, était minoritaire dans le pays. Sous l’impulsion de Chirac et de Juppé, obéissant aux diktats du B’nai B’rith, la droite parlementaire (ou ce qui en tenait lieu) a préféré perdre des élections, renoncé à des mairies, à des présidences de conseils régionaux plutôt que s’allier avec le Front national. Une stratégie qu’elle maintient contre vents et marées depuis trente ans. Mitterrand n’avait, lui, pas eu ces scrupules à l’égard du Parti communiste qu’il avait étreint pour mieux l’étouffer. Ce qui avait au final profité grandement au Parti socialiste dont l’homme de Jarnac avait pris la direction depuis le congrès d’Épinay en juin 1971 : dès la fin des années 1970 le Parti communiste qui était jusque-là le principal parti à gauche, tant sur le plan électoral que militant, se faisait dépasser par le Parti socialiste mitterrandien.
Il semble que Macron qui n’avait pourtant que huit ans lorsque François Mitterrand est mort, ait retenu les leçons du défunt président socialiste. Conscient que la politique qu’il mène est forcément impopulaire puisqu’elle n’est plébiscitée que par les gagnants de la mondialisation auxquels seuls elle profite, il sait que sa seule chance de durer, et éventuellement d’être réélu, est de fragmenter ses oppositions et de n’avoir pour principaux adversaires que des personnalités et des mouvements qui ne peuvent conquérir l’Élysée du fait d’un positionnement jugé trop radical ou trop anxiogène par une majorité du corps électoral. En ce sens, Macron a tout intérêt à mettre en avant Mélenchon — qui, de manière grotesque et indécente, a été applaudi à tout rompre par l’Assemblée nationale à la suite de l’attentat bidon contre lui et qui a même été loué par le Premier ministre en personne — car si le chef de l’État se retrouvait au second tour d’une présidentielle face à cet admirateur du régime cubain, il bénéficierait du rejet majoritaire des positions communisantes de son contradicteur. Mieux vaut en effet pour Macron une gauche dominée par son aile radicale et, de ce fait, incapable d’obtenir une majorité de substitution pour gouverner. L’Élyséen ne peut donc que se réjouir de voir le Parti socialiste, au positionnement moins gauchiste, en état de coma avancé et ne fera rien pour favoriser son retour à la vie.
De la même manière, le président de la République ne peut que se féliciter de ce qui se passe actuellement au Front national. Marine Le Pen est en effet suffisamment déconsidérée depuis le débat du 3 mai pour ne pas représenter une menace sérieuse. Son maintien durable à la tête du parti — elle est en effet la seule candidate à sa succession — est la garantie que le Front national, qui va changer de nom, de logo et de statuts au printemps prochain, ne connaîtra probablement plus à l’avenir de très fortes dynamiques électorales et n’accédera jamais au pouvoir sur le plan national. Mais en même temps, grâce à son patronyme qui lui permet de jouir d’une rente électorale sans qu’elle le mérite, la benjamine de Jean-Marie Le Pen peut toutefois conserver un matelas de voix non négligeable de nature à compliquer le retour des Républicains aux affaires. L’Élysée n’a donc aucun intérêt à ce que Marine Le Pen s’effondre électoralement. La maintenir en vie lui est même très utile puisque d’une part elle neutralise, elle tue dans l’œuf toute possibilité pour une droite nationale authentique d’émerger et d’autre part elle contribue par sa présence et sa personnalité conflictuelle à la fragmentation des droites, laquelle est indispensable au maintien durable au pouvoir de la République en marche. Cela explique sans doute le grand retour médiatique de la présidente du Front national qui a eu droit le 19 octobre à deux heures d’émission en première partie de soirée sur la principale chaîne publique et qui est de plus en plus invitée sur les radios et télévisions où elle est d’ailleurs loin d’exceller.
Le chef de l’état doit suivre également avec attention ce qui se passe chez les Républicains qui ont du mal à se débarrasser complètement des “constructifs”, ces élus et cadres du mouvement qui ont choisi de soutenir la politique de l’Exécutif. Le 24 octobre, un défaut de quorum avait été enregistré lors du bureau politique du parti, empêchant l’exclusion, pourtant à l’ordre du jour, de cinq élus macronisés, Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Franck Riester et Thierry Solère. Le 31 octobre au soir, après le bouclage et l’impression de ce numéro, le bureau politique devait à nouveau tenter d’exclure les cinq dissidents. Mais le fait que la direction de LR n’ait pas obtenu facilement, et dès la première réunion du bureau politique, l’exclusion de ses « brebis galeuses », montre à quel point la politique de Macron et de son Premier ministre séduit une partie de ses troupes. Non certainement de sa base volontiers droitière mais d’une partie de ses responsables tant il est vrai que les choix politiques et économiques faits par Emmanuel Macron l’auraient été aussi par Alain Juppé ou François Fillon s’ils avaient été élus à la magistrature suprême. Car, dans le cadre de l’Union européenne et de la mondialisation, les politiques sont nécessairement les mêmes sur l’essentiel, le jeu électoral étant plus que jamais une vaste pantalonnade consistant à distraire, manipuler et leurrer des millions de naïfs qui continuent à croire, contre l’évidence des faits, que se rendre aux urnes peut contribuer à sauver notre pays et notre peuple du désastre.
Éditorial de Rivarol n°3303 du 1/11/2017
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