Marine Le Pen et le Vel d’Hiv : l’impasse de la stratégie de dédiabolisation
L’histoire se répéterait-elle ? A trente ans d’écart, interrogée par le même journaliste, Olivier Mazerolle, dans la même émission, le Grand Jury RTL, un dimanche soir, Marine Le Pen aurait-elle trébuché comme son père qui, le 13 septembre 1987, employa, en réponse à une question sur « les thèses révisionnistes de M. Roques et Faurisson » l’expression « point de détail » à propos de la façon dont les juifs étaient morts en camp de concentration, un mot que le Menhir traîne comme un boulet depuis trois décennies et qui a interdit jusqu’à ce jour tout rapprochement, toute alliance entre la droite parlementaire et le Front national, compte tenu de l’influence puissante sur la classe politico-médiatique des dirigeants de la communauté juive ? On s’en souvient, le fondateur du Front national avait alors provoqué un tollé, Marine Le Pen a fait de même le 9 avril 2017 en refusant de considérer que la France en tant que telle était responsable de la rafle du Vel d’Hiv en 1942.
Aussitôt l’émission achevée, ce ne fut que bruit et fureur contre la candidate du Front national coupable d’avoir blasphémé. Ses différents concurrents et adversaires sont très contents de la mettre en difficulté à quelques jours du premier tour de la présidentielle alors même que sa campagne patinait déjà et qu’elle n’avait pas été à son avantage, c’est le moins que l’on puisse dire, dans les deux grands débats télévisés organisés le 20 mars sur TF1 et le 4 avril sur BFMTV.
François Fillon, très proche du CRIF, note que « le Front national est extrêmement mal placé pour parler de ces sujets, lui qui compte encore dans ses rangs beaucoup de nostalgiques du régime de Vichy » : « La vérité, c’est que le Vel d’Hiv a été un crime commis par l’État français, le régime de Vichy bien sûr, mais aussi par l’administration qui a secondé les décisions qui ont été prises par les gouvernements français » ajoute avec sévérité le candidat des Républicains désireux de récupérer in extremis des suffrages promis jusque-là au FN. « Si on doutait que Marine Le Pen est d’extrême droite, on ne peut plus en douter » affirme pour sa part Benoît Hamon selon lequel « la responsabilité de la France est évidente : il n’y avait pas un soldat allemand pour prêter main forte aux policiers et à la milice, et opérer cette rafle du Vel d’Hiv. » « D’aucuns avaient oublié que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen », renchérit Emmanuel Macron qui parle d’une « faute politique et historique lourde » de la part de la candidate. « C’est le vrai visage de l’extrême droite française que je combats. », « C’est une faute grave, ce qu’elle a fait. Je pense que Jacques Chirac avait justement pris ses responsabilités et eu un geste courageux. »
Les « petits candidats » ne sont pas en reste : « Ça fait partie de ce genre de polémique totalement inopportune et assez choquante. Voilà, Madame Le Pen essaie de faire le buzz là-dessus, sur des sujets qui sont extrêmement cruels », sermonne le souverainiste François Asselineau. Généralement mieux inspiré, Jean Lassalle dit avoir eu « la nausée » en apprenant les propos de Marine Le Pen « Ce qu’avait dit Jacques Chirac était très beau, ce que dit Marine Le Pen est inutile est dangereux. […] Elle revient avec de l’alcool à brûler sur des plaies pas tout à fait cautérisées. »
Les présidents de région Xavier Bertrand et Christian Estrosi, qui ont été élus au second tour des régionales de décembre 2015 avec les voix de la gauche dans le cadre d’un vaste Front républicain, ne sont évidemment pas en reste. Bertrand a tweeté : « Marine Le Pen est bien la fille de son père. ». Quant à Estrosi, il ne répugne comme à son habitude à aucune outrance : « En niant la responsabilité de l’État français sur le Vel d’Hiv, Marine Le Pen rejoint son père sur le banc de l’indignité et du négationnisme » (sic !) La sénatrice Europe Ecologie-Les Verts Esther Benbassa affirme, quant à elle : « Déportation des Juifs. Marine Le Pen nie la responsabilité de la France. Papa, l’homme du détail, doit être content. »
Sans surprise, dans un communiqué virulent, le CRIF « dénonce des propos révisionnistes qui dévoilent le véritable visage du Front national ». Avec sa modération habituelle, le Conseil représentatif des institutions juives de France juge ces déclarations comme « une insulte à la France, qui s’est honorée en 1995 à reconnaître sa responsabilité dans la déportation des juifs de France et à faire face à son histoire, sans mémoire sélective ». Invité d’Europe 1 le 10 avril au matin, le vice-président du Crif, Yonathan Arfi, en a remis une couche : « C’est évidemment une position traditionnelle du FN, une manière d’inscrire le FN dans cette campagne dans sa tradition vichyste et collaborationniste (sic !) Nous répondons que la République a réglé cette question il y a maintenant 22 ans par les propos de Jacques Chirac, propos qui ont été repris par la suite par Nicolas Sarkozy et François Hollande. C’est un immense retour en arrière, une manière de réouvrir un débat qui a été clos par les historiens il y a quelques dizaines d’années. » Selon le numéro deux du CRIF, « Marine Le Pen est tout à fait consciente de ce qu’elle fait », car cela « correspond à un raidissement volontaire de sa campagne ». Yonathan Arfi poursuit ainsi son raisonnement : « Nous sommes au premier jour de la campagne électorale officielle et les sondages se resserrent. Elle se sent sous la menace de ses poursuivants et face à cela elle ressent le besoin de mobiliser les plus radicaux des soutiens traditionnels du FN. Le rapport à la Seconde Guerre mondiale et à la Shoah est un marqueur politique fort au sein du FN. »
L’État d’Israël n’est pas en reste qui se fend d’un communiqué officiel pour stigmatiser les propos de la présidente du Front national : « Nous condamnons les déclarations faites par Marine Le Pen selon lesquelles la France n’est pas responsable de la déportation des juifs de son territoire pendant la Shoah », a déclaré une porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Michal Maayan. « Cette déclaration est contraire à la vérité historique telle qu’elle a été exprimée par les déclarations des présidents de France, qui ont reconnu la responsabilité de l’État pour le sort des juifs français qui ont péri dans la Shoah. »
On le voit, l’on nage en pleine hystérie. A aucun moment Marine Le Pen n’a cherché à défendre le régime de Vichy qu’elle exècre. Elle a d’ailleurs exclu son père du FN parce qu’il avait défendu dans nos colonnes le maréchal Pétain. Dans un communiqué mis en ligne dans la soirée de dimanche, dans l’espoir d’éteindre l’incendie, Marine Le Pen affirme d’ailleurs s’inscrire dans une tradition gaulliste. Elle y dénonce une « instrumentalisation politique indigne » de ses propos. « Je considère que la France et la République étaient à Londres pendant l’occupation, et que le régime de Vichy n’était pas la France. C’est une position qui a toujours été défendue par le chef de l’État ». De fait, cette position a été tenue par tous les présidents de la République jusqu’à François Mitterrand inclusivement et c’est Jacques Chirac qui a rompu avec cette tradition dans son discours du Vel d’Hiv le 16 juillet 1995 où il affirmait que « ce jour-là la France commettait l’irréparable ». Depuis ce discours inspiré par Serge Klarsfeld et par lequel Chirac « payait sa dette électorale à la communauté juive » selon la formule de l’époque de Jean-Marie Le Pen, tous les chefs d’État et de gouvernement successifs ont fait leur la thèse de Chirac et il paraît inimaginable à vue humaine que l’on revienne désormais en arrière vu le degré d’hystérie sur le sujet.
Reste que la thèse gaulliste reprise par Marine Le Pen est historiquement fausse. Le régime de Vichy, quoi qu’elle en dise, était parfaitement légal, reconnu d’ailleurs par la quasi-totalité des pays du globe, dont l’URSS et les États-Unis d’Amérique, et le maréchal Pétain tenait ses pleins pouvoirs d’un vote massif et parfaitement régulier des parlementaires de la IIIe République. De Gaulle avait intérêt pour sa gloriole personnelle à écrire une histoire mythifiée mais aucun historien sérieux et objectif ne peut faire sienne cette thèse.
En tout cas, on mesure dans cette affaire les limites et, disons-le, l’impasse de la stratégie dite de dédiabolisation. Marine Le Pen a eu beau policer son discours, renier moult fondamentaux, exclure des rangs de son parti des militants et cadres historiques jugés trop radicaux et compromettants, et jusqu’à son propre père auquel pourtant elle doit tout dans l’espoir de faire carrière et de conquérir le pouvoir, elle a beau faire la danse du ventre devant la communauté juive, envoyer dans l’entité sioniste le très docile et soporifique secrétaire général du FN, Nicolas Bay, pour qu’il rallume, la larme à l’œil, la flamme de Yad Vashem et rencontre brièvement quelques seconds couteaux de la classe politique israélienne, missionner son concubin Aliot et Collard, très israélophiles, pour qu’ils se fassent adouber par une fantomatique association juive, aussitôt désavouée, tout cela reste vain. Le pouvoir continue à se refuser à elle. Obstinément. Tous les sondages indiquent qu’au second tour, si toutefois elle y parvient, elle serait largement battue. Par Macron, par Fillon et même par Mélenchon, le gauchiste. Tout ça pour ça, quel formidable gâchis !
Éditorial de Rivarol n°3278 du 13/04/2017