Il est un refrain qui endort la Raison, celui des jours heureux où les trois confessions de foi vivaient ensemble en Espagne : je ne dis point religions, car il n’y en a qu’une, ont observé les philosophes, mais parle des rites ! En fait, les tensions au sein d’un peuple s’apaisent quand il y a une homogénéité : celle-ci était plus sensible chez les Germains qu’ailleurs, et il a malheureusement suffi de secouer par quelques violences un édifice que l’on prétend millénaire en France, pour que l’indifférence, voire l’hostilité à toute discipline religieuse éclate au grand jour, alors que nos voisins européens continentaux unissaient la chrétienté restée chez nous divisée. La laïcité s’est alors imposée, sous couvert de fraternité, comme une tyrannie administrative exercée le plus durement par un théologien tarnais apostat initié au Grand Orient, Emile Combes (1835-1921). Imagine-t-on dans les pays de l’Est, que l’on interdise des crèches de Noël dans ces gares fleuries l’hiver, comme il s’en voit dans les États allemands limitrophes ?
En fait la guerre de religion ou la persécution tant cléricale qu’anticléricale recouvre une lutte inter-ethnique, comme en témoigne la guerre de Vendée. Mais cet aspect est voilé par l’idéologie.
L’échec présent de la politique française d’immigration est, par exemple, tourné non contre l’État républicain ou ses frères méditerranéens, communiant dans la même maçonnerie, mais contre l’Islam en soi, et ceux qui savent cette disposition nationale à manquer la cible et à confondre, comme il se vit sous Léon Gambetta (de lignée originaire de Westphalie portant le nom de Gamber, puis italianisée en Gambetta), le cléricalisme avec la régression sociale, excitent cette tendance.
L’Espagne offre une exception : elle entama une croisade au XXe siècle contre l’athéisme marxiste et la maçonnerie, mais une croisade originale christiano-musulmane : le défilé de la victoire en 1939 à Madrid vit Franco aux côtés du Mufti du Maroc. On peint volontiers en France les couleurs sombres de l’inquisition dirigée contre des faux convertis, mais le plus souvent menée, tel un Torquemada, par de vrais convertis, et de célébrer, comme il se lit partout, l’âge d’or de l’autre Andalousie judéo-christiano-islamique. Qu’il soit rappelé, à cet égard, que le fameux écrivain basque Ignacio Olagu, dans son étude critiquée et jamais méprisée, originellement intitulée « La Conversion de l’Espagne à l’Islam » et en France traduit sous le titre paradoxal et accrocheur « Les Arabes n’ont jamais envahi l’Espagne », traite habilement d’un passage de l’hérésie arienne ou Arianisme (doctrine forgée par un certain Arius et qui eut un long succès en Europe) à l’Islamisme, la mosquée de Cordoue ayant, par exemple, été d’abord, comme il se voit, un temple arien, à savoir chrétien non trinitaire, avec ses nombreuses colonnes où les Chrétiens ariens priaient « seuls avec Dieu’. L’immigration proprement arabe y fut faible et tout ce qui est dit de ce conquérant dont Gibraltar serait le nom, et aurait brûlé ses vaisseaux pour ôter à sa troupe l’idée de retourner au Maroc, imite une légende grecque, relève de la fable. Nous sommes toujours dans un contexte majoritairement européen ou espagnol. « Le même va au même. »
Nous passons du rêve romantique d’une Espagne tolérante et sensuelle qui plaît à nos libertins ou agitateurs ou démoralisateurs « révolutionnaires » et à ceux qui, naturellement, décrient le Christianisme dès sa naissance, à la réalité d’une Espagne une, grande et libre qui eut son propre islam et retourna au christianisme qui avait été son berceau !
Il y eut, pour justifier ce vrai rêve espagnol au sens d’une exaltation de sa propre force, une splendeur espagnole, en effet, orientée vers une idée transcendante de l’unité qui enrichit, le mot peut sonner comme un paradoxe, l’islamité, et non point une invasion qui, par essence, ne construit pas ou, au mieux, ne vit que pour elle, indifférente au sol. Telle est cette thèse vivace de Olagu, qui reste sous le boisseau.
Rappelons, sur cette Andalousie, qu’elle fut colonisée, dans les Temps Modernes, à l’initiative de Charles Quint, par des Flamands, ce que manifeste le type local.
Pierre Dortiguier